LES MYSTÈRES D'HARRIS BURDICK (6)
mercredi, 19 mars 2008
ECHEC A VENISE
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Même en faisant machine arrière de toute sa puissance, le paquebot avançait de plus en plus dans le canal.
Déjà la basilique s’effondrait sous la poussée du mastodonte, et les façades du Canaletto s’écroulaient les unes après les autres. L’ombre du navire engloutissait maintenant le quartier. Dans une poignée de secondes le pont de l’Académie serait brisé en douceur, presque mollement, juste par l’inertie du bâtiment. Une dentelle de pierre vieille de six siècles, qui avait résisté aux inondations, à l’ensablement et aux millions de touristes.
Quel gâchis… Du haut de la cabine de pilotage, Jacques, les bras ballants, assistait impuissant à l’épilogue grotesque de sa troisième et dernière mission. Cette fois-ci, les administrateurs ne se contenteraient pas d’un sourcil réprobateur. Il n’y aurait pas de débriefing collectif, destiné moins à revenir sur l’origine des erreurs techniques qu’à humilier les fautifs. Pas non plus de dernière chance.
Non. Pas cette fois-ci. On lui avait bien fait comprendre, après le fiasco de la banque Harlen, qu’une telle erreur de jugement ne devait sous aucun prétexte se reproduire. A trois minutes de la sortie des derniers otages, il avait laissé l’un des braqueurs, retranché dans les toilettes du personnel, vider son chargeur sur un couple de pauvres vieux avant d’être abattu. On lui avait alors reproché d’avoir négligé les sorties secondaires dans le plan de l’édifice.
Après trois mois de purgatoire en salle des archives, où il avait redoublé d’efforts pour ingérer tous les protocoles de sauvetage, son administrateur personnel l’avait recontacté. La hiérarchie le convoquait le lendemain matin en salle d’entraînement. Simulation d’opération spéciale en mer. Environnement hostile de type quatre. Revoir tout le chapitre Protection des civils.
Comment le Cristos Onassis, cent-quinze mètres de long et treize mètres de la ligne de flottaison à la quille avait pu s’enfoncer dans la lagune, et ainsi atteindre les premières habitations sans s’ensabler, Jacques ne pouvait l’expliquer. C’est à peine si maintenant le monstre semblait ralentir, freiné par l’amoncellement de palais déserts et d’embarcations heureusement vides.
Pourtant, malgré une nuit sans sommeil passée à réviser, Jacques s’était installé plutôt confiant au matin dans le simulateur. De schéma classique, l’opération consistait à maîtriser une dizaine de mercenaires qui avaient pris le contrôle d’un paquebot en mer Adriatique. Désarmement, protection des otages et remise du vaisseau aux autorités Italiennes. Seulement là encore, dès l’injection qui l’avait projeté virtuellement en salle des machines, Jacques avait senti la situation lui échapper. Neuf preneurs d’otages liquidés en moins de quinze minutes, neuf. Mais où pouvait bien se cacher ce dernier salopard ? Même le détecteur géothermique ne le repérait pas.
Vingt minutes plus tard, alors que Jacques fouillait une à une les cabines du deuxième pont, un homme surgit des chambres froides, traversa les cuisines et atteignit le poste de commande. Ce qu’il eut le temps de trafiquer dans l’ordinateur de bord avant que Jacques ne l’abatte, personne ne le sait. Toujours est-il que le paquebot était devenu incontrôlable.
Bien sûr, personne ne serait blessé. Personne n’habitait ces palazzi numérisés, pas plus que les otages ou les mercenaires n’existaient réellement. Maigre consolation cependant. Car à mesure que le Cristos Onassis plongeait dans une Venise de pixels, c’était la carrière de Jacques au sein du prestigieux Bureaux des Interventions qui sombrait.
4 commentaires
Une Venise en pixels après une maquette de Venise, bien vu!
Yann est bien l'auteur. Je crève de jalousie...
Bon je vis avec lui, je ne vais tout de même pas me plaindre. Il est timide et refuse absoluemment d'ajouter un commentaire, mais chut, très doucement, je crois qu'il était très heureux que tu le publies.
bref commentaire!!!
A demain...
heu pas au bon endroit ce commentaire, j'avais plutôt envie de te dire autre chose à cet endroit là, mais un jour, un autre jour...
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