BASTE!
samedi, 26 février 2011
Elle s'était fait tout un univers du Musée du Quai Branly. Elle espérait trouver des invitations au voyage dans chaque recoin. Je m'étais engagée à l'y emmener, en ce musée des colonisateurs. Elle marchait lentement, s'arrêtait pour allumer une cigarette dont elle ne connaîtrait jamais le mégot, et son pas faussement contenu cachait mal son impatience.
La façade de verdure faisait mine triste, hésitant entre feuilles desséchées et pourriture. Deux jardiniers tentaient de redonner au lieu un semblant d'apparat, le bambou rivalisait avec le bambou en cette morne saison sans fin.
Le seuil fut vite passé, peu de monde aux guichets. La rampe d'accès aux salles d'expositions dégoulinait de mots de peuples, de contrées, de rites et rituels, sur une idée sans doute hautement réfléchie et artistique de Sandison. Le saccage commençait là: nous piétinions cela même que nous allions admirer, clouté, cloué, suspendu en des vitrines sans âme. Des scolaires sages et ébahis écoutaient une guide leur dévoiler les mystères d'un masque à doubles porteurs, normalement brûlé après la cérémonie. Un doigt se lève: que faisait-il là le masque alors?
Au fil des galeries, cette certitude: les Européens se sont damnés pour des siècles pour avoir ainsi enfermé et exposé ce qui ne se montrait que dans le secret de rituels au creux du monde.
J'en étais là de mes sombres pensées quand a surgi le rejeton du Queequeg de Moby Dick: le corps tatoué de la tête aux pieds et vêtu d'un kilt, berçant une poussette tout en s'adressant à un gardien en un anglais qui trahissait que ce n'était pas là sa langue maternelle. Qu'avait-il donc écrit dans les plis et les replis de sa peau que nulle guide ne serait à même de commenter sur un ton pédago-sentencieux? Magnifique apparition qui à elle seule apaisait tout le reste...
Queequeg,Maurice Pommier
9 commentaires
Au bout d'un parterre, un lieu sordide sentant juste la malbouffe. A l'image du monde sans âme de la porte d'à côté , pas un brin de voyage dans les assiettes, ni dans les verres... seul l'argent vit et dégouline en ces lieux...
@ Moucheron La cafèt' du quai Branly: la cerise sur le gâteau!
Le magnifique musée des Arts océaniens et africains (où j'avais vu Tchibaou en personne) a été remplacé par un truc censé vanter notre apport colonialiste.
Pour le musée du quai Branly, je n'ai pas vu cette expo dont vous parlez, mais d'autres que j'avais appréciées. Il est vrai que toute l'ambiguïté est là (même Lévi-Strauss, venu y tenir une de ses dernières conférences, en était bien conscient) : accaparer ce qui a fait la richesse et la caractéristiques de certains peuples.
Mais faut-il alors - dans un geste "révolutionnaire" - rendre aux Egyptiens l'obélisque de Louxor ?
@ D. Hasselmann Et aux Athéniens, la frise des Panathénées?
@ D. Hasselmann Comment rebaptiser la place de la Concorde alors?
D. Hasselmann : Un tableau, un bronze... c'est comme une histoire qui défile devant moi, la beauté de l'oeuvre n'est pas seule pour me faire frémir, là, errant de beauté en beauté , rien comme si ces superbes oeuvres avaient toutes perdu leur âme. Troublante rencontre tant attendue, ne pas aller au delà de la beauté, rester de l'autre côté de la vitrine. Y a-t-il encore de la vie dans ses oeuvres où est-elle restée là-bas ?
Il faut lire le très beau discours d'Aminata Traore à l'inauguration du Musée. "Nos oeuvres d'art ont droit de cité là où nous sommes, dans l'ensemble, interdits de séjour".Tout est dit
http://www.ustke.org/syndicat/2006/06/29/211-musee-du-quai-branly-une-lettre-d-aminata-traorehttp://www.wat.tv/video/rainer-maria-rilke-laurent-2y5h9_2fgqp_.html
le lien sur le discours
@ZOE Merci pour ce lien, tout est dit: "un trésor de guerre"...
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