Le 6ème jour
samedi, 04 octobre 2014
Le 6ème jour, Compagnie L'Entreprise
Ce matin, je me suis levée en même temps que le lustre du jour. C'est le 6ème jour de la semaine, rien ne presse. Assise dehors, dos au mur, j'écoute cet instant d'automne qui porte en lui un curieux printemps. Mes pensées se faufilent vers le spectacle d'hier, le premier de la saison au Cirque Théâtre d'Elbeuf.
Décider d'en laisser une trace ici et avoir peur de tirer un faux fil. Bannir les adjectifs "superbe, magnifique, grandiose, émouvant" et douter de pouvoir trouver le mot juste pour autant.
Sur scène, une table massive aux pieds démesurés. Un clown-ange, ni homme ni femme, mais à coup sûr poème, y déballe sa sacoche: des pochettes et des pochettes pleines d'une conférence à venir. Mais au commencement, la parole n'est pas. Seul est le geste. Malhabile et maniaque tout à la fois. Aussitôt, des flots de rires surgissent que plus rien ne peut endiguer, si ce n'est la nécessité de reprendre son souffle.
Puis la voix du clown-ange s'élève, venue de loin, rauque et étonnée. Elle s'élance dans une lecture hésitante et jubilatoire du premier chapitre de la Genèse, jour après jour. Toute surprise de l'audace du gars -comprenez l'Eternel- qui s'est lancé dans une entreprise si démesurée. Jusqu'au 5ème jour, la voix achoppe inévitablement sur le verbe "constater". C'est donc en d'irrésistibles bégaiements et éructations que Dieu "constate" l'état d'avancement de sa création. Et on se dit que cela était bon.
Quand vient enfin le tour du 6ème jour, on sent bien que la machine pourrait s'emballer. Or ce n'est pas à un emballement qu'on assiste mais bien plus à un retour au tohu-bohu originel. Les papiers de la conférence prennent le feu et l'eau. L'homme ne sera jamais constaté...
Dans le public, le rire a cédé la place à l'émotion. Les uns et les autres, renvoyé à notre propre aventure humaine. Au moment de franchir le seuil de la salle, je me suis dit que c'était sans doute là que tout se jouait: avoir l'audace de "constater" jour après jour sa propre vie.
20 commentaires
"Il faut bien que Genèse se fasse." (J.P.)
Pour répondre à cette magnifique paronomase:
"La théologie, c'est simple comme dieu et dieu font trois" J.P. toujours!
Confrontation du théâtre avec les arts voisins: littérature, musique, art du clown, arts du cirque, art du masque ou art de la marionnette.
La soirée vue comme une œuvre. Une façon de replacer l'art au centre de la vie.
Quand l'art a ce pouvoir de réfléchir nos vies...
Tu pourrais proposer ton billet au journal local, ça nous changerait un peu...
Ca te changerait des "magnifique, extraordinaire" qui, à force d'être triturés ne veulent plus dire grand-chose?
et le sacré revient par la porte de côté celle des arts, qui ont la force de réinterroger, le spectacle une re création, les anges prennent des visages de clown, c'est peut être leur aspect le plus vrai.
Lecture ou spectacle hésitants et jubilatoires de nos propres vies.
Chaque jour renouvelés...
@ thé âche et colo: je constate que je suis entièrement d'accord avec vous deux!
Pas simple de traduire simplement les émotions ressenties devant un spectacle. Peut-être mon ressenti serait-il différent, à l'opposé même, mais tu donnes en quelques mots l'envie de découvrir. Et cela est magnifique et grandiose – certes, j'exagère un peu, mais "tu vois ce que je veux dire".
C'est même très lumineux.
c'est drôle, depuis ce soir-là, celui du 6ème jour, je me sens chaque jour plus existante. A croire que l'art a la capacité de constater voire d'en inventer la forme intransitive.
Sans complément d'objet alors? Mais au moins avec quelques objectifs à relever.
J'm'a gouré; je voulais dire forme "réfléchie"! Au temps pour moi.
A moins que ce ne soit la forme "réflexive"?
En tous les cas, il y a une conscience de soi, qu'elle soit réfléchie ou réflexive!!! Belle journée
Joli texte !
Merci pour ce passage
Merci pour ce retour si délicat...qui m'aide aussi à poursuivre la route .
Le clown Arletti
Que votre route continue à nous mettre en mouvement...
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