Aujourd'hui une chance.
mercredi, 21 novembre 2012
235/366
Aujourd'hui c'est une chance que la contrainte ne soit pas entortillée comme celle d'hier. Elle me laisse la liberté d'écrire dans la marge et d'y déposer une colère.
Que s'est-il passé dans la tête de certains de mes élèves vendredi soir? Dans la matinée, T., un petit gars du voyage scolarisé chez nous leur avait dit, comme on partage un bonheur, que ses cousins allaient venir le chercher à la fin des cours. Toute la journée, la rumeur a pris forme, s'est nourrie d'elle-même, s'est mise à enfler, à gonfler, s'est réjouie de prendre de telles proportions. A 17h, elle avait la grande satisfaction de dire cela, la rumeur: les gitans, armés jusqu'aux dents allaient venir les égorger. Certains sont sortis avec leur compas dans leur poche, d'autres leurs ciseaux, prêts à en découdre.
Lundi matin, nous avons effectivement décousu tout cela: la peur de l'autre qui peut faire battre le coeur avec une certaine jubilation, les préjugés. J'ai demandé si leur mémoire avait fait des confettis de l'album lu en début d'année, Ogre, cacatoès et chocolat de Cécile Roumiguière et Barroux. Pourtant, ils m'ont raconté l'ogre tapi dans son ennui et dans la forêt. Il a une sale réputation, l'ogre. Dans la bouche des mères, c'est le monstre avec toute sa cohorte de on dit. D'ailleurs, sur la page, il est énorme, noir et difforme. Ils se sont souvenus de Manon, la collectionneuse de bouts de papiers et de mots improbables. De leur rencontre. De la parole qui a ce pouvoir de percer la baudruche des peurs collectives d'un coup d'aiguille. De Barnabé -c'est l'ogre épouvantable de la première page mais maintenant il a un nom- qui sur la dernière page a une taille humaine.
Je crois désespérément au pouvoir des mots. Rien ne m'est plus insupportable que ces situations qui s'enlisent parce que la parole n'est plus possible. Dans mon sac, ce matin, je rajouterai une pile de Dans les yeux d'Angel de Cécile Roumiguière. Je le prêterai à qui voudra le lire. Angel ou T. Que ce roman puisse les faire avancer.
7 commentaires
Très beau billet la bacchante. Merci. Ta colère est partagée à des milliers de km ;)
L' absence de mots est le pire des maux.
Ecrire mon billet a sans doute un peu apaisé ma colère.
Dies iræ, dies illa,
Solvet sæclum in favílla,
Mais tu es là, une chance, pour transformer peurs et colère en mot, en plus de sagesse.
Je ne veux pas t'envoyer de fleurs – les derniers coucous que j'ai apportés à la maîtresse ont pourri dans leur bocal – mais comme ton billet donne à moins douter de l'humain !
Là, j'en perds… mes mots. Merci. Sur vos îles Indigo, on sait pourquoi on écrit, et ça fait un bien fou. Vos élèves savent-ils la chance qu'ils ont d'avoir un professeur qui leur ouvre grand des fenêtres, des portes ? Bravo pour votre saine colère, votre courage de ne pas céder à la lassitude, bravo pour vos… mots.
Et belle route à T., à ses cousins, aux copains qu'il va avoir désormais, peut-être.
Oui, heureusement qu'il y a des profs attentifs et qui réagissent, on peut espérer que cette leçon leur reviendra en tête quand elle leur sera utile pour éviter de déraper. merci pour eux
Décidément je prends du retard, mais je lis, j'enrage et je reprends courage grâce à ta colère et à tes paroles qui ouvrent les cages.
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