Couvercle
dimanche, 01 septembre 2013
Hier matin, ma morveuse est partie s'installer à Rouen. Les années-lycée sont derrière elle depuis peu. Droit devant: une chambre d'étudiante, la fac de médecine et son impatience .
Une ultime fois, nous avons fait le tour de la biquetterie -avers et revers de chaque pièce- pour trouver ce qu'elle aurait oublié d'emporter: housse de couette, bouilloire et rapeur manuel -ici les ustensiles sont rarement electro-ménagers!- indispensable pour les carottes rapées. Lui trouver dans la journée une théière. Essentiel pour soutenir les longues journées et nuits qui l'attendent. En profiter pour la lui apporter le lendemain avec les légumes des Hauts Prés.
On a pris un café et un jus d'orange avant que. La veille, j'avais laissé le couvercle sur la table au lieu de le ranger sous l'évier; celui qui couvre et qui fait passoire. Le moment était sans doute venu. En moi, ça se marrait bien. La scène de la montre dans Pulp fiction de Tarentino venait de faire une irruption impromptue et décalée. Bien que.
Ce couvercle, ma grand-mère en avait fait l'acquisition en 1957 à son arrivée en France. Elle venait de quitter définitivement Tunis et la Goulette avec ses six enfants pour rejoindre Aulnay-sous-bois et mon grand-père qui avait, le premier, fait la traversée quelques mois auparavant. Comme beaucoup d'autres familles juives et tunisiennes en cette année-là, ils avaient choisi la nationalité française et l'exil.
Ce couvercle, ma grand-mère l'a donné à ma mère, bientôt mariée et déjà enceinte de la tenancière de ces îles, en 1968, alors qu'elle s'installait dans une autre rue mais toujours à Aulnay-sous-bois. Cette année-là, l'ordre familial avait été quelque peu chahuté.
Ce couvercle, ma mère me l'a donné en 1990 alors que je partais enfin m'installer dans une chambre de bonne au-dessus des toits de Paris. Cette année-là, j'ai fait bouillir mon eau au-dessus d'une unique plaque électrique et le thé avait une saveur nouvelle. Les toilettes étaient à la turque et communes à tous les paliers du 7ème étage. Il ne fallait pas oublier le rouleau de papier rose avant d'y aller.
En un mot, a conclu ma morveuse, tu es en train de me dire que tu m'autorises à le prendre même si tu y tiens beaucoup!
Ce couvercle, je l'ai donc transmis, hier, samedi 31 août 2013, à ma fille alors qu'elle partait s'installer dans sa chambre d'étudiante. Cette année-là, je lui souhaite de la vivre pleinement. Qu'elle ose aller vers elle et pour elle. Pour son bien et pour son bonheur.
Ma morveuse vient d'appeler: quand je passerai la voir tout à l'heure, je dois absolument penser à lui ramener ses romans Le passage et Le choeur des femmes, oubliés dans sa chambre...
25 commentaires
Belle histoire d'un objet somme toute ordinaire et qui deviens témoin de passage entre générations :-)
Et belle histoire d'un oiseau qui s'envole du nid...
Merci.
Bon vent à la morveuse et qu'elle n'utilise pas ce couvercle pour le poser sur ses désirs. Mais comme bon sang ne saurait mentir, on ne s'inquiète pas.
Ni couvercle, ni mouchoir.
émouvant passage de témoin , de vie..
la vie tourne.
Remettre le couvercle...
Bien vu!
Ces deux romans – Le Passage et le Chœur des femmes – pour la grâce du billet ?
Pour de vrai, aussi.
Tu sais bien "dire" les choses, même quand elles sont indicibles... C'est fort !
(Ce couvercle qui fait aussi passoire, pourrait bien figurer dans le catalogue des objets introuvables de Carelman.)
Quel est donc ce catalogue?
Catalogue ?
Du style le couteau sans manche dont on a cassé la lame
ou encore la baignoire avec porte ?
le couvercle comme un bâton (de relais) héritage fort dans une famille harmonieuse. pas comme celle de Jimy (je viens de terminer Hymne) un livre essentiel, à faire passer: soulever le couvercle des non dits.
Tu peux maintenant enchaîner avec BW.
Les titres des bouquins oubliés sont symboliques, voulu ou pas, j'aime bien...
Le passage dit aussi par ces titres...
Les objets ont une vie.
Inscrire leur mémoire quelque part.
As-tu trouvé une théière pour ta fille ? Ton billet m'a émue, moi qui ai tant de théières mais pas de fille. Bonne rentrée, la bacchante.
Oui, Tania, une en fonte, capable de supporter tous les chocs jusqu'à ce qu'elle passe le cap de l'internat!
Moi j'y vois aussi de belles tomates....!
Justement Colo: est-ce celles-là que tu m'as envoyées? J'ai tellement de variétés dans le jardin potager que je ne sais plus. Elles sont d'un rouge tendant vers le rose quand elles ne sont pas mûres.
Ça se pourrait bien, en fait la peau des ramallets est d'une couleur plus rosée, et elles sont généralement plus petites que les autres "races". Elles ont beaucoup de "pépins", peu de chair...la plante est plus haute...que te dire de plus?
de passer à la biquetterie pour me donner ton avis de visu.
j'adorerais.
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