Une chambre en Inde
dimanche, 13 novembre 2016
Il est des semaines où je mettrais bien le monde en liste d'attente, je lui passerais en continu quelques notes de musique, de celles qu'on trouve invariablement sur les répondeurs des dentistes. Il est des semaines où se mettre heureuse et rire n'est plus aussi simple qu'enfiler un bon pull pour faire face aux jours de froidure. Ces semaines où le monde ne se pointe plus qu'avec sa gueule de chaos, mal peignée, mal grimée, mal au dedans, mal au dehors : un an depuis le Bataclan - comment avons-nous habité ces 365 jours? - quatre jours depuis Trump - qu'avons-nous fait de ces 96 heures ? - et une petite moitié d'année avant les élections chez nous - qu'inventerons-nous durant ces 6 mois pour que ne pas ?
Alors, oui, mettre le monde en liste d'attente quelques heures et trouver un espace où se revigorer pour le penser autrement et s'emparer à nouveau du désir d'y retourner, résolument debout.
Vendredi, nous avons pris Une chambre en Inde au Théâtre du Soleil. Tu n'y es jamais allée. Trente ans que j'y retourne pour m'y blottir comme en une matrice. J'ai la certitude de retrouver là la force originelle du théâtre : un espace poétique et politique, un espace où circonscrire la démesure du monde - les Grecs la nommaient l'hybris - un espace où se réfugier pour penser notre place dans la cité et dans l'Histoire, les jours où nous nous sentons les naufragés d'un fol espoir.
C'est une chambre en Inde et par les fenêtres ce sont bien les bruits de l'Inde qui nous parviennent mais c'est surtout une chambre où déferlent l'Orient et l'Occident avec son cortège de terreurs et de chaos. Une chambre où s'invitent aussi Shakespeare, le Theru Koothu, Gandhi, Brecht et Chaplin. Un condensé d'humanité dans ce qu'elle a de plus terrible, de plus bouleversant. Et pour l'accueillir, coincée dans cette chambre, une troupe de théâtre - son directeur Lear, désemparé par les attentats, s'est volatilisé - en quête de spectacle et le rire malgré tout, comme dernier rempart.
© Pili Vazquez
"Il faut savoir être heureux si possible ! Le monde actuel n’a que faire de nos plaintes, de nos désenchantements, la nostalgie ne sert à rien et nous affaiblit. Nous avons voulu surmonter nos angoisses par le rire ! Pour parler de la peur que ce monde engendre, nous avons choisi le comique comme une sorte d’antibiotique. Nous voulons rire de nous-mêmes, rire de nos échecs et rire de nos peurs, ce qui ne veut pas dire en nier la légitimité. "
Ariane Mnouchkine, 30 août 2016
3 commentaires
Je parle d'Ariane dans mon dernier billet. Grâce à toi aussi. Je ne sais pas si je pourrai aller voir cette pièce. Je serai à Paris bientôt, de passage, mais lundi, relâche! En décembre peut-être. Savoir être heureux, pas une mince affaire :-)
Trente ans aussi pour moi que le Soleil est une place forte.
Beau billet, qu'ajouter ?
Écrire un commentaire