Trois points de ...
jeudi, 12 septembre 2013
D. a récupéré dans les cartons d'une vieille cousine, il y a quelques temps, les lettres du Poilu A. Durand, brancardier, 2ème bataillon, 153ème d'Infanterie, 20ème corps d'armée, en campagne. Une fois ces lettres en sa possession, D. n'a pas voulu les consigner une 2ème fois dans des casiers de l'oubli. Elle a proposé à une collègue et prof d'histoire d'en offrir une lecture à haute voix à ses classes. Proposition déclinée pour cause de programme surchargé, conseil donné de les transmettre aux Archives! D. n'a pas voulu les archiver. Elle attendait qu'une autre occasion se présentât.
Cet été, elle est venu faire un tour sur mes îles, le jour du billet Tangage et tangente. Elle y a lu qu'E. préparait à sa manière et avec son accordéon une remontée à la surface de la guerre de 14, en marge des commémorations officielles et certifiées conforme à la pensée étatique. Elle m'a demandé si je pensais que. Si je croyais que ça pourrait l'intéresser.
Avant qu'elle ne les lui envoie, moi, mon carnet et mon crayon à papier, nous sommes passés chez elle pour les lire. Pour en garder une trace. J'ai tourné les pages, noircies elles-aussi au crayon à papier. Dans chacune ou presque, un homme qui cherche à dissimuler le soldat. Pour rassurer son oncle et sa tante. Il est bien plus loquace quand il parle des colis reçus, chocolat et caleçons.
Avant qu'elles ne partent en terre pictavine, j'ai recopié quelques lignes.
23 novembre 1914
"Cette guerre dépasse en horreur tout ce qu'on peut imaginer."
16 décembre 1914
"C'est en vain qu'une horde de barbares nous inonde de sa ferraille, il n'y a plus que les morts qui n'avancent plus."
10 mars 1915
"Ne vous souciez pas des zeppelin; les chutes de cheminées sont plus dangereuses les jours de grand vent"
"Je suis un oiseau de nuit, je ne travaille que dans les ténèbres, silencieux comme une ombre."
16 avril 1915
"Ne nous emballons pas, nous avons encore du travail à faire et tous ceux qui l'ont commencé et continué ne l'achèveront pas."
Après plus rien. Cassandre malgré lui. La correspondance s'arrête là...
14 commentaires
Les commémorations vont commencer. Dans mon coin (nord pas de calais) il y a des restes (carrière whellington à arras, vimy,...). Bonne journée.
des restes et combien d'oublis?
À lire ces quelques lignes du brancardier Durand, on se demande comment l'humanité peut se foutre dans ces merdiers que sont les guerres.
L'humanité doit éprouver quelque jouissance dans ces merdiers, du moins les gradés qui y envoient les sans grade.
On se demande aussi pourquoi les femmes aiment quand même cette "in..humanité"...
23 novembre 1914
"Cette guerre dépasse en horreur tout ce qu'on peut imaginer."
S'imprégner au plus profond de cela pour essayer de comprendre (un peu seulement) le choc que ce fut.
En écho, le poème de Verhaeren publié sous l'arbre. L'horreur de la guerre, toujours d'actualité.
"Avec des feux et des épées
Et des têtes, à la tige des glaives,
Comme des fleurs atrocement coupées."
ce devait être la der des der, mais les commémorations ont réussi à retourner l'opinion. "déjà vous n’êtes plus qu'un mot d'or sur nos places" L. Aragon.
L'année prochaine, on remettra un coup de neuf sur les lettres puis on continuera de guerroyer.
Hélas toutes les familles possèdent ce genre de correspondance. Elles témoignent souvent de l'horreur du quotidien et de temps en temps de faits particuliers très interagissants. Par exemple dans l'une de mes grands-oncles, tous deux tués, l'un parle des quêtes publiques pour payer des chiens ratiers. Une des plaies étaient les rats dans les tranchées, or ceux qui quêtaient le faisait pour eux, les chiens ne sont jamais arrivés sur le front...
Et les rats ont continué d'opérer dans les tranchées...
Extraits qui font encore frémir cent ans plus tard. Que ces précieuses lettres trouvent leur havre.
Ta dernière phrase dit juste.
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