Henry VI de Shakespeare par la Piccola Familia
dimanche, 10 novembre 2013
Hier nous avons quitté la Biquetterie à l'heure où la nuit a une grande marge devant elle et où le jour ne sait pas encore quelles teintes il déclinera. Nous avons traversé le duché de Normandie et une partie du duché de Bretagne. Arrivée à Rennes à 9H.
Ce samedi 9 novembre, nous l'avions programmé de longue date. Depuis septembre, nous avions réservé nos places au TNB pour aller voir Henry VI de Shakespeare, mis en scène par Thomas Jolly. Pour percevoir un tant soit peu l'impatience qui nous rongeait, songez à votre série préférée: vous venez d'apprendre qu'une nouvelle saison serait programmée deux mois plus tard.
Nous avions vu les épisodes 1 et 2 d'Henry VI lors de leur création à Cherbourg, en janvier 2013. Nous les avions revus le mois suivant lorsque la troupe s'était installée à Louviers. Ensuite, nous avions dû nous résoudre à attendre que l'épisode 3 soit créé, en compagnie d'Henry VI menacé par la sombre vengeance du duc d'York et la reine Marguerite portant le fruit de ses amours adultères. Quant à Gloucester et Bedford, ils n'étaient plus de la partie: ils avaient rendu un dernier souffle mémorable à la fin de l'épisode 2. Cela dit en passant, Môôôsieur William, vous auriez pu faire quelque entorse à l'Histoire d'Angleterre et garder ces deux-là plus longtemps sur scène en prévision du jour où ils seraient interprétés avec une telle maestria par les acteurs de la Piccola Familia!
Samedi 9 novembre, TNB de Rennes, de 11h à minuit, Henry VI, épisode 1, 2 et 3
Les portes s'ouvrent tôt. L'impatience et l'excitation sont tangibles dans la salle. Avec le public est rentrée l'odeur des galettes-saucisses qui cuisent dehors en prévision du premier entracte. Pour tromper le temps qui ne veut pas accélérer son cours, je lis la présentation de la pièce par Thomas Jolly: Henry VI relate la lente dégénérescence du monde. Shakespeare la traduit en basculant petit à petit du registre flamboyant de la comédie à celui crépusculaire de la tragédie. La mise en scène suit cette courbe descendante en s'appuyant sur une alliée rare et précieuse au théâtre: la durée. On entre dans Henry VI en plein jour, on en sort au creux de la nuit. Les premiers mots de la pièce le commandent: "Cieux, tendez-vous de noir! Jour, fais place à la nuit!"
Pour parler de ce qui s'est passé après, de 11h à minuit, je sais déjà que les mots vont faire défaut: un éblouissement permanent entre rires et larmes, les mille facettes d'un kaléidoscope concentrées en un plateau de scène, le temps arrêté, suspendu, la disparition du jour et de la nuit et soudain le rideau noir qui tombe non pour signaler un nouvel entracte mais bien pour la dernière fois. Prolonger les applaudissements le plus longtemps possible, jusqu'à ce que les paumes supplient de les prendre en pitié, espérer qu'en entendant ce crépitement de joie et d'émotion, la troupe comprendra quel miracle elle venait de nous offrir.
L'intégrale d'Henry VI - épisode 1, 2, 3 et 4- sera jouée cet été au festival d'Avignon. Nous devons donc nous résoudre à attendre que l'épisode 4 soit créé en compagnie de la reine Marguerite plus farouche qu'une Amazone et son indécis époux. Quant au duc d'York, il n'est plus de la partie. Il a rendu son âme et sa tête à la fin de l'épisode 3.
13 commentaires
Vivement Avignon, mais il ne va pas falloir se laisser ronger par l'impatience.
Je ne connais pas de remède à l'impatience: en juillet nous ressemblerons à des trognons de pomme!
Tu es quasiment sur une autre planète...
Fort heureusement, tu as le don de nous faire partager tes émotions. Merci...
Sur une autre planète, c'est exactement ça.
Magnifique ! Un miracle, ce qui se produit là, et que tu nous fais sentir à fleur de peau.
Cela me rappelle "Le Soulier de satin" mis en scène par Vitez en tournée à Bruxelles au Théâtre National, avec Ludmila Mikaël et Didier Sandre, à peu près de midi à minuit dans mes souvenirs, et l'ivresse ressentie en sortant, comme d'une autre planète, oui.
Des moments comme ceux-là, on ne veut pas les voir prendre fin.
Ton bonheur est contagieux ...
[ Petit rebond: j'ai lu récemment "Première ébauche d'une mise en scène d'Hamlet" et "Hamlet en montagne," deux courts textes d'Yves Bonnefoy qu'on retrouvera dans son recueil "L'heure présente." Il y est question d'un Shakespeare en pleine nature...]
Suis allée grapiller des extraits sur la toile. Merci!
attention attention William est dans l'escalier et vous êtes priés de ne pas le déranger, pour paraphraser HF Thiéfaine, je vous parle d'un temps où les divertissements ne comptaient pas le temps.
Voilà un compte-rendu qui fait sacrément regretter de ne pas avoir foulé, avec vous, les terres bretonnes samedi dernier ! :-O
Il te reste la possibilité d'aller fouler la terre avignonnaise!
Rebond sur ton billet – et parce que la journée commence sous le soleil – un quasi poème :
Famille recomposée
William Shakespeare
avait trois frères :
Jo, Averell et…
j’oublie toujours
le prénom du quatrième.
J'accepte difficilement cet oubli!
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