Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

samedi, 12 mars 2016

Apprenti sage

P1100828.jpg

Que la lumière soit, Athènes, 2015

Cette semaine, avec mes pioupious de 6ème, j'ai commencé une nouvelle séquence consacrée à la création et recréation du monde. J'aime ce moment-là parce qu'avant de pouvoir déposer le premier chapitre de la Genèse sur leurs tables, il faut que je déblaie, débroussaille, défriche et éclaircisse le terrain en m'adressant tout à la fois à ceux qui sont athées, à ceux qui ne sont pas de ce Dieu-là, à ceux qui vont au caté et qui parfois pensent que l'humanité a commencé comme ça, avec deux nudités au fond d'un jardin et un index divin pointant le panneau exit. Alors je retrace l'histoire de la Bible,  dont les plus vieux textes n'ont que vingt-neuf siècles et que nous ne possédons plus. Je parle des traductions de ce best-seller de l'humanité et m'offre même un détour par la légende qui accompagne La Septante : soixante-douze sages invités par Ptolémée II sur l'île de Pharos pour traduire la Bible en grec, chacun séparément. Ils ont rendu leurs copies au bout de soixante-douze jours, inévitablement, et elles étaient en tous points identiques, immanquablement !
Les uns et les autres, dans la salle, réagissent. C'est gros comment la Bible ? Ce n'est pas possible, ils ont triché ! Ils ont photocopié soixante et onze fois une traduction. Soudain, E. qui d'habitude se réduit au silence et règle tout avec ses deux poings, l'insulte et la provocation, me demande : c'est quoi un sage ? Fragilité de l'instant. Les yeux dans les yeux, je me suis dit : mon p'tit bonhomme, tu ne connais sans doute ce mot que sous sa version adjectif précédé d'une négation : pas sage. Je n'ai pas cherché à circonscrire le mot par une définition, je lui ai juste répondu : tu ne le sais peut-être pas, mais tu as l'étoffe d'un sage... Il m'a offert son regard étonné et aussi, pour la première fois depuis le début de l'année,  le début d'un passage de lui à moi.
Plus loin dans le cours, une fois la semaine de la création lue, d'injonction divine en injonction divine,  les uns et les autres dans la salle réagissent en mode brouhaha : en six jours, ce n'est pas possible ! Il faut plus d'un jour pour se reposer de tout ça. E. dont le nom et le prénom côte à côte sont le début d'un poème  -les deux dernières syllabes  identiques- me demande : il se repose de quoi, Dieu ? D'avoir mal aux lèvres ?
Non seulement, mon p'tit bonhomme, tu as l'étoffe d'un sage mais ta sagesse est décapante...