jeudi, 27 octobre 2011
HOMO SAPIENS DEMENS
Patrick Viveret: je suis allée l'écouter un soir de la semaine passée. Après une journée pleine et je ne savais pas qu'il y avait encore un interstice de libre où accueillir cette pensée lumineuse. Cet homme-là a fait le pari de la réappropriation démocratique et sémantique des mots, le pari de gratter le langage de ses scories. Il nous renvoie aux racines pour penser notre monde en pleine mutation. Prenez deux mots que notre société a exilés si loin de leur sens: la valeur et la richesse. Qui se souvient que Valeur vient du Valor latin qui désigne la force de vie et que Richesse vient d'une racine reich- qui n'est autre que la puissance créatrice? Cet homme-là "défige" le langage, le remet en mouvement: pourquoi le dépôt de bilan ne serait-il qu'économique? Pourquoi pas écologique ou social?
Ce matin, le temps d'un espace vide et avide tout à la fois, entre deux randonnées, avant le réveil de mes morveux, j'ai lu Comment vivre en temps de crise? d'Edgar Morin et Patrick Viveret. Je dépose ici un fragment.
"Ce n'est pas faire du catastrophisme que de dire que l'humanité risque la sortie de route, qu'il est possible que cet Homo sapiens demens* voit son aventure se terminer prématurément. (...) L'humanité peut aussi saisir ce moment crucial pour vivre un saut qualitatif. Des sauts qualitatifs se sont déjà produits dans les grands moments de bifurcation de l'histoire humaine. C'est dans ce rameau qui courait moins vite, qui était moins gros, qui ne volait ni ne nageait, qu'a émergé le fabuleux processus de la conscience. Ce qui se jouait dans l'ordre de l'hominisation se joue aujourd'hui dans l'ordre de l'humanisation.
Nous ne pouvons y parvenir que si nous affrontons la question de la barbarie intérieure. Le politique s'est construit sur le traitement de la violence interhumaine, en extériorisant cette question de la violence. Qu'est-ce qui caractérisait la construction d'une tribu, d'une cité au sens grec, d'un Etat ou d'un empire? Le processus de pacification, de civilisation utilisait le danger que représentaient les Barbares, les étrangers et les infidèles. Ces trois grandes formes d'étrangeté permettaient de constituer la paix et la civilité à l'intérieur d'un espace restreint. A l'échelle de la mondialité (...) la quetion de la barbarie se pose de façon intérieure: comment l'humanité traite-t-elle sa propre part d'inhumanité?"
*: l'expression est d'Edgar Morin
10:05 Publié dans ESPACES DES CRIS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : patrick viveret, comment vivre en temps de crise? | Facebook |