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dimanche, 22 mai 2016

Étonnants Voyageurs (2) : Penser l'Autre

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© Pili Vazquez

A regarder la Fondation Vuitton sous toutes ses soudures, on se laisserait presque séduire. Vaisseau marin ou spatial, tout de verre, elle ne cesse de se refléter elle-même, réécriture contemporaine du mythe de Narcisse. A l'intérieur, par un jeu de miroirs, c'est face à leur propre reflet aussi que les visiteurs se retrouvent.
Sur le site officiel, léché comme une vitrine ou réfléchissant comme un miroir aux alouettes, on s'enorgueillit du défi relevé : "D'une esquisse initiale crayonnée sur la page blanche d'un carnet, au nuage transparent posé à la lisière du Jardin d'Acclimatation dans le Bois de Boulogne, Franck Gehri a eu pour ambition de concevoir à Paris un vaisseau magnifique qui symbolise la vocation culturelle de la France. Faiseur de rêve, il a imaginé un bâtiment unique, emblématique et audacieux. Respectueux d'une histoire ancrée dans la culture française du XIXe, il ose les prouesses technologiques du XXIe, ouvrant la voie à des innovations fondatrices."
En voilà du beau discours qui à coup d'oxymore tente de blanchir une page de la mémoire collective !

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Samedi 15 mai, Étonnants Voyageurs, Auditorium, Penser l'Autre avec Pascal Blanchard et Didier Daeninckx

Pascal Blanchard et Didier Daeninckx, ces deux-là n'ont de cesse de gratter la page blanchie de la Mémoire Collective pour faire apparaître le palimpseste. (ci-dessous quelques notes prises ce matin-là)
La matinée a commencé par la projection du court-métrage Exhibitions de Rachid Bouchareb. (en descendant sur le lien précédent, vous trouverez le court-métrage dans son intégralité.)

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Du début du XIXe jusqu'à la fin des années trente, ce sont plus de huit cent millions de visiteurs occidentaux qui se rendent dans des villages itinérants, des zoos humains ou au Jardin d'Acclimatation de Paris pour découvrir près de trente mille exhibés importés des quatre coins du bout du monde : on y exhibe l'Autre, on fabrique du Sauvage sur mesure voire des Monstres. Au passage, on devient raciste en toute impunité, par un beau dimanche ensoleillé tout en pique-niquant avec les mômes. Ceux qui ont vu ces zoos humains ne voyageaient pas et pourtant ce sont ceux-là même qui ont écrit un discours sur l’Autre et fabriqué une culture bâtie sur Tarzan, Jules Verne et Tintin au Congo. Tout cela fait partie d'une vaste propagande coloniale et européenne qui permet de légitimer le rapt de terres. Depuis la nuit des temps, tous ceux qui ont eu entre leurs mains la puissance et le pouvoir ont exhibé l’Autre pour mieux le dominer.

L'histoire des colonies ne s’est pas arrêtée le jour où la dernière d'entre elles a été rendue à son indépendance. Nous sommes les héritiers de cette histoire mais nous n'en possédons pas forcément les clés de décodage. Croire que l’Histoire va passer sans que nous prenions le temps de la déconstruire est une erreur. Elle reviendra un jour à la surface. Il est nécessaire de déconstruire ces images en commun -exhibeurs et exhibés- sinon elles auront une valeur hallucinante pour un Dieudonné, pour des Djihadistes. 

Ces zoos humains ont été possibles parce que les visiteurs payaient leur billet, la Fondation Vuitton installée en toute impunité dans le jardin d'acclimatation sur un cimetière humain -des os humains, ceux de dix-huit corps d'exhibés ont été retrouvés lorsque la terre a été creusée pour les fondations et jamais il n'a été envisagé de suspendre ou déplacer le chantier- est possible parce que les visiteurs payent leur billet, ignorants souvent ce qui s'est passé là. Seule une petite pancarte posée à la demande de Blanchard et Daeninckx rappelle qu'un jour il nous faudra bien nous pencher sur cette page effacée plutôt qu'en des miroirs narcissiques ...

vendredi, 24 octobre 2014

S'acclimater à l'amnésie ?

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Mercredi, journée parisienne avec mon fils. Au programme, l'exposition "Tatoueurs, tatoués" au musée du Quai Branly. Cela faisait quelques semaines qu'il voulait m'y conduire. Faut dire qu'il attend avec patience sa majorité pour s'offrir quelque dessin indélébile sur la peau. 
L'exposition se veut une réflexion sur un phénomène mondialisé. On y a appris que dans les mondes orientaux, africains et océaniens -je me refuse à dire "sociétés primitives"- les tatouages ont un rôle social, religieux et mystique. Ils furent frappés d'infamie par les grands colonisateurs, porteurs de "civilisation". Au Quai Branly, on a vu des bras momifiés, des morceaux de peaux tendus aux quatre coins, tous tatoués. Exposition ou exhibition? Je me suis souvenue de ce jour où dans une allée du musée, j'avais croisé un descendant de Queequeg.
En sortant, nous avons longé les berges de la Seine puis sommes passés sur la rive droite. Le Grand Palais était en émoi: il allait ouvrir ses portes à la FIAC. J'explique à mon morveux en quoi consiste cette foire. Il me parle de la Fondation Vuitton qui doit ouvrir la semaine prochaine au bois de Boulogne. Il m'étonnera toujours, mon morveux, à mettre un point d'honneur à se tenir informé sur l'actualité politique, économique et culturelle. Dire que je ne savais même pas qu'une des premières fortunes de France s'était éprise de mécénat.
De retour à la Biquetterie, je suis allée voir cette histoire de plus près. Effectivement, sur l'ancien jardin d'acclimatation s'élève désormais un navire de verre. Qui se souviendra qu'en ce même lieu au XIXème siècle et jusqu'en 1931, on n'y acclimatait pas seulement des plantes exotiques, on y exposait surtout des zoos humains? Je convierais bien Ernest Pignon-Ernest à coller sur chacune des voiles de verres des géants de papier pour que notre mémoire collective ne s'acclimate pas à l'amnésie.

Profiter des vacances pour relire Cannibale de Didier Daeninckx.