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vendredi, 24 octobre 2014

S'acclimater à l'amnésie ?

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Mercredi, journée parisienne avec mon fils. Au programme, l'exposition "Tatoueurs, tatoués" au musée du Quai Branly. Cela faisait quelques semaines qu'il voulait m'y conduire. Faut dire qu'il attend avec patience sa majorité pour s'offrir quelque dessin indélébile sur la peau. 
L'exposition se veut une réflexion sur un phénomène mondialisé. On y a appris que dans les mondes orientaux, africains et océaniens -je me refuse à dire "sociétés primitives"- les tatouages ont un rôle social, religieux et mystique. Ils furent frappés d'infamie par les grands colonisateurs, porteurs de "civilisation". Au Quai Branly, on a vu des bras momifiés, des morceaux de peaux tendus aux quatre coins, tous tatoués. Exposition ou exhibition? Je me suis souvenue de ce jour où dans une allée du musée, j'avais croisé un descendant de Queequeg.
En sortant, nous avons longé les berges de la Seine puis sommes passés sur la rive droite. Le Grand Palais était en émoi: il allait ouvrir ses portes à la FIAC. J'explique à mon morveux en quoi consiste cette foire. Il me parle de la Fondation Vuitton qui doit ouvrir la semaine prochaine au bois de Boulogne. Il m'étonnera toujours, mon morveux, à mettre un point d'honneur à se tenir informé sur l'actualité politique, économique et culturelle. Dire que je ne savais même pas qu'une des premières fortunes de France s'était éprise de mécénat.
De retour à la Biquetterie, je suis allée voir cette histoire de plus près. Effectivement, sur l'ancien jardin d'acclimatation s'élève désormais un navire de verre. Qui se souviendra qu'en ce même lieu au XIXème siècle et jusqu'en 1931, on n'y acclimatait pas seulement des plantes exotiques, on y exposait surtout des zoos humains? Je convierais bien Ernest Pignon-Ernest à coller sur chacune des voiles de verres des géants de papier pour que notre mémoire collective ne s'acclimate pas à l'amnésie.

Profiter des vacances pour relire Cannibale de Didier Daeninckx.

samedi, 26 février 2011

BASTE!

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Elle s'était fait tout un univers du Musée du Quai Branly. Elle espérait trouver des invitations au voyage dans chaque recoin. Je m'étais engagée à l'y emmener, en ce musée des colonisateurs. Elle marchait lentement, s'arrêtait pour allumer une cigarette dont elle ne connaîtrait jamais le mégot, et son pas faussement contenu cachait mal son impatience.
La façade de verdure faisait mine triste, hésitant entre feuilles desséchées et pourriture. Deux jardiniers tentaient de redonner au lieu un semblant d'apparat, le bambou rivalisait avec le bambou en cette morne saison sans fin.
Le seuil fut vite passé, peu de monde aux guichets. La rampe d'accès aux salles d'expositions dégoulinait de mots de peuples, de contrées, de rites et rituels, sur une idée sans doute hautement réfléchie et artistique de Sandison. Le saccage commençait là: nous piétinions cela même que nous allions admirer, clouté, cloué, suspendu en des vitrines sans âme. Des scolaires sages et ébahis écoutaient une guide leur dévoiler les mystères d'un masque à doubles porteurs, normalement brûlé après la cérémonie.  Un doigt se lève: que faisait-il là le masque alors?
Au fil des galeries, cette certitude: les Européens se sont damnés pour des siècles pour avoir ainsi enfermé et exposé ce qui ne se montrait que dans le secret de rituels au creux du monde.

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Queequeg, Rockwell Kent

J'en étais là de mes sombres pensées quand a surgi le rejeton du Queequeg de Moby Dick: le corps tatoué de la tête aux pieds et vêtu d'un kilt, berçant une poussette tout en s'adressant à un gardien en un anglais qui trahissait que ce n'était pas là sa langue maternelle. Qu'avait-il donc écrit dans les plis et les replis de sa peau que nulle guide ne serait à même de commenter sur un ton pédago-sentencieux? Magnifique apparition qui à elle seule apaisait tout le reste...

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Queequeg,Maurice Pommier