samedi, 26 février 2011
BASTE!
Elle s'était fait tout un univers du Musée du Quai Branly. Elle espérait trouver des invitations au voyage dans chaque recoin. Je m'étais engagée à l'y emmener, en ce musée des colonisateurs. Elle marchait lentement, s'arrêtait pour allumer une cigarette dont elle ne connaîtrait jamais le mégot, et son pas faussement contenu cachait mal son impatience.
La façade de verdure faisait mine triste, hésitant entre feuilles desséchées et pourriture. Deux jardiniers tentaient de redonner au lieu un semblant d'apparat, le bambou rivalisait avec le bambou en cette morne saison sans fin.
Le seuil fut vite passé, peu de monde aux guichets. La rampe d'accès aux salles d'expositions dégoulinait de mots de peuples, de contrées, de rites et rituels, sur une idée sans doute hautement réfléchie et artistique de Sandison. Le saccage commençait là: nous piétinions cela même que nous allions admirer, clouté, cloué, suspendu en des vitrines sans âme. Des scolaires sages et ébahis écoutaient une guide leur dévoiler les mystères d'un masque à doubles porteurs, normalement brûlé après la cérémonie. Un doigt se lève: que faisait-il là le masque alors?
Au fil des galeries, cette certitude: les Européens se sont damnés pour des siècles pour avoir ainsi enfermé et exposé ce qui ne se montrait que dans le secret de rituels au creux du monde.
J'en étais là de mes sombres pensées quand a surgi le rejeton du Queequeg de Moby Dick: le corps tatoué de la tête aux pieds et vêtu d'un kilt, berçant une poussette tout en s'adressant à un gardien en un anglais qui trahissait que ce n'était pas là sa langue maternelle. Qu'avait-il donc écrit dans les plis et les replis de sa peau que nulle guide ne serait à même de commenter sur un ton pédago-sentencieux? Magnifique apparition qui à elle seule apaisait tout le reste...
Queequeg,Maurice Pommier
08:06 Publié dans BAL(L)ADE, PICTURA | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : quai branly, queequeg, moby dick, sandison | Facebook |
dimanche, 02 septembre 2007
DEUX MOIS DEUX SEMAINES ET DEUX JOURS...
08:40 Publié dans ALBUM, INCIPIT, ROMAN | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : françois place, maurice pommier, ours gris, moby dick, les derniers géants | Facebook |
lundi, 30 juillet 2007
DES VOILES
Les balades furent assurément pour moi, dans les monts d’Arrée sous l’égide de Merlin –bien lui en prit car les déluges de Noé qui y tombèrent nous virent, un jour néfaste, finir terreux et crottés sur les banquettes en cuir d’un VRP stupéfait de nous voir randonner par ces temps si oubliés des dieux ; dans la presqu’île de Crozon, j’ai tout à fait fui le touriste en gagnant le cap de la chèvre abandonné de tous, mortels et immortels - celle de Seguin aurait pu y brouter longtemps encore bruyères et genêts.
A Lesconil, j’ai simplement chatouillé de mes semelles de longues pierres plates au sourire cocasse, j’ai imaginé un soir me blottir dans le tronc démultiplié du chêne de Sainte-Marine pour lire Sweet home d’Arnaud Cathrine, déniché à La Nuit Bleu Marine de Morlaix.
Par contre, point de ballades dans les deux douces maisons où je me suis déposée. Point mais pas à la ligne. J’ai voulu comprendre. J’ai jeté des regards qui ne demandaient qu’à être harponnés, voire hameçonnés. J’ai ouvert des portes, jusqu’à celle des toilettes –si les miennes n’étaient pas si humides, j’y aurais placé mes quelques La Pleiade, en attendant les travaux toujours remis à demain, j’y savoure certaines Microfictions. Mais rien, pas l’ombre ni le corps d’un livre ! Mes hôtes, je le savais, étaient d’impénitents lecteurs. Or, le premier les a insatiablement donnés, offerts, transmis, passeur sans vergogne et sans peur des reproches de sa soeur –histoire peut-être d’en pérenniser la lecture une fois la dernière page tournée ; la seconde les a enfouis en des latitudes et longitudes familières, derrière les bambous au fond du jardin ! Enfouis ? Pas exactement, plutôt mis en caisses. Etait-ce pour cause de déménagement ? Je ne sais plus. Ce geste sacrilège a fini par me séduire. Elle avait encaissé chacun de ses livres, le souffle coupé…
Cette nuit, le ciel est démesurément lunaire, je songe au Géol de François Place, à son vrai frère dans Moby Dick, à leurs peaux tatouées, je pense à ces livres qui, bien qu’empilés ou rangés sur des planches, n’en finissent pas de se dessiner en moi, malgré moi.
00:45 Publié dans ALBUM, BAL(L)ADE | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : moby dick, françois place, les derniers géants, bretagne | Facebook |