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jeudi, 11 juillet 2013

Leçons de solfège et de piano.

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Je ne suis pas musicienne, n'ai jamais pris un cours de solfège ni toucher les touches d'un piano. D'aucuns pensent même que je souffre d'arythmie. Pourtant, je sais les blanches et les noires des débats de mon coeur, les sons particuliers du jour qui va surgir de la nuit et les scolies de l'été. Je sais aussi les mélopées de la phrase de Pascal Quignard; les fulgurances qui précèdent le silence.
Hier, sur la route du retour qui ramenait D. de sa chimio, juste avant de quitter Rouen en suivant les méandres de la Seine, j'ai fait un détour par l'Armitière. J'étais sûre d'y trouver Parle-leur de batailles de rois et d'éléphants de Mathias Enard. D. venait de finir Rue des voleurs et je voulais qu'elle ait cette certitude le lendemain, quelles que soient les nausées qui l'assailliraient, de pouvoir continuer de se nourrir de son écriture.
Comme prévu, le roman, en un exemplaire unique, m'attendait sur son étagère, maintenu par L'alcool et la nostalgie et Tout sera oublié. Je l'ai dégagé de son étreinte, bien décidée à filer directement à la caisse sans laisser traîner mon regard. D. attendait dans la voiture sous un soleil de plomb et de cuivre. S'accorder juste un petit coup d'oeil sur la table des nouveautés en faisant le serment de ne rien toucher. Se parjurer aussitôt et lire la 4ème de couverture de Leçons de solfège et de piano. Stoppée dans mon élan. Désarçonnée. Comme une réponse éblouissante à la discussion que nous avions eu avec D. à l'aller. J'avais essayé de circonscrire mon verbe écrire. Mais ce verbe-là s'inscrit dans la marge et ne se laisse pas entourer d'un périphérique bruyant et traçant la limite d'un espace.
"Il est des choses qui blessent l'âme quand la mémoire les fait ressurgir. Chaque fois qu'on y repense, c'est la gorge serrée. Quand on les dit, c'est pire encore, car elles engendrent peu à peu, si on cherche à les faire partager par ceux qui les écoutent, qui lèvent leur visage, qui tendent leur visage, qui attendent ce qu'on va dire, une peine ou, du moins un embarras qui les redoublent. Elles font un peu trembler les lèvres. La voix se casse. J'arrête de parler. Mais alors je commence d'écrire. Car on peut écrire ce qu'on n'est plus du tout en état de dire. On peut écrire même quand on pleure. Ce qu'on ne peut pas faire en écrivant, quand on est en train d'écrire, c'est chanter."
Se ressaisir. S'emparer à nouveau de l'arçon. Filer au plus vite. Règler les deux livres. Rejoindre D.
Ce matin, réveillée par les sons d'un jour clairement installé, avant même de faire couler un premier café, j'ai avalé Leçons de solfège et de piano, un hommage à ses trois grand-tantes, comme les soeurs Brontë, qui s'enorgueillissaient de tenir l'orgue d'Ancenis, à Gérard Bobillier et Paul Celan et un règlement de compte à Louis Poirier, le futur Julien Gracq. Et à nouveau ce verbe écrire: "Primo Levi s'en prit une fois à Paul Celan avec violence. "Ecrire c'est transmettre, dit-il. Ce n'est pas chiffrer le message et jeter la clé dans les buissons." mais Primo Levi se trompait. Ecrire, ce n'est pas transmettre. C'est appeler. Jeter la clé est encore appeler une main après soi qui cherche, qui fouille parmi les pierres et les ronces et les douleurs et les feuilles mouillées, noires, gluantes de boue, ou craquantes, ou coupantes de froid, de la nuit, à l'Ouest du monde."

Commentaires

Quel beau et généreux billet.
Écrire comme lancer un SOS indicible, et aussi, comme dans le roman de R. Montero que je viens de terminer, pour construire des ponts entre l'aimé disparu et soi, écrire même en pleurant.
J'en traduirai un court extrait ce we pour rester dans ta ligne.
Je pense à D aussi, j'ai connu ça les chimios, aucun soutien n'est superflu pour poursuivre.
Bonne journée Bacchante.

Écrit par : Colo | vendredi, 12 juillet 2013

Ce week-end, je passerai par chez toi. Belle journée, Colo.

Écrit par : la bacchante | vendredi, 12 juillet 2013

Quel vibrato ! J'en suis touchée, curieuse, émue.
Lire ces deux extraits ne restera pas sans suite.
Que les petits dieux de l'été vous accompagnent.

Écrit par : Tania | vendredi, 12 juillet 2013

"Lire ces deux extraits ne restera pas sans suite.": aurais-tu trouver la clé?

Écrit par : la bacchante | vendredi, 12 juillet 2013

si la clef était si simple à trouver ? l'écriture c'est tout et plus encore. et dire l'écrit ?

Écrit par : thé âche | vendredi, 12 juillet 2013

Tout aussi dur que dire les cris.

Écrit par : la bacchante | vendredi, 12 juillet 2013

beaucoup de pudeur dans ton texte magnifique.

Écrit par : telos | samedi, 13 juillet 2013

Merci. Belle journée, Telos.

Écrit par : la bacchante | samedi, 13 juillet 2013

Évidemment ce titre de Quignard m'interpelle, et à travers tes mots je pressens qu'il y a là richesse à explorer...

Écrit par : El | dimanche, 14 juillet 2013

Dis-moi ce que tu penses des cours de la Demoiselle Quignard.

Écrit par : la bacchante | lundi, 15 juillet 2013

J'aimais bien tout de même la phrase de Primo Levi. Tant d'écrivains pensent que plus ils sont abscons, plus ils sont géniaux... Merci pour ce beau texte et l'amitié que vous portez à D.

Écrit par : Zoë Lucider | lundi, 15 juillet 2013

Ecrire, est-ce transmettre ou appeler? Oscillation de l'un à l'autre, peut-être.

Écrit par : la bacchante | lundi, 15 juillet 2013

Mes compliments pour ce beau billet. Je ramasse les clés pour trouver Enard et Quignard.

Écrit par : christw | jeudi, 18 juillet 2013

Les as-tu trouvés?

Écrit par : la bacchante | vendredi, 19 juillet 2013

Les commentaires sont fermés.