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jeudi, 22 août 2013

Eucalyptique.

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Paul Celan.
Jusqu'à cet été, je n'avais rien lu de lui. Occulté. Ignorant même que c'était un survivant des décombres de la Shoah; arbre écorcé; ignorant même comment prononcer son nom. Celan. Célan.
Paupière décillée avec Leçons de solfège et de piano de Pascal Quignard.

"Celan celant.
Paul Celan est un poète qui se voulut hermétique en raison d'un séisme apocalyptique. Trois voiles épais, telles étaient les tentures prophétiques qui entouraient le tabernacle et le soustrayaient à la vue des fidèles. Paul Antschel sous le voile de Paul Aurel puis sous le voile de Paul Ancel puis sous le voile de Paul Celan. Paul Celan conçut son ultime pseudonyme à cette fin. Celan est celui qui écrit: "La bouteille qui est jetée à la mer contenant quelque chose qui a été écrit à l'encre sur un morceau de papier doit  nécessairement être hermétiquement bouchée." Elle flotte ainsi: parce qu'elle est célée. Ni l'eau externe ni les larmes ne la délavent. Ce scel est une part du poème. C'est ainsi que le poème prouve que la langue, dans son fond, appelle.
Une invocabilité erre en amont des langues naturelles, beaucoup plus profonde que leur sens."

Réapparu dans 7 femmes de Lydie Salvayre à côté d'Ingeborg Bachman: "fille d'un homme qui s'est résolument rangé du côté de Hitler, elle aime un poète juif qui a échappé aux camps d'extermination où ses deux parents moururent."

"En janvier 1948, elle rencontre Paul Celan. (...)
Il a vingt-sept ans, elle en a vingt et un.
Il écrit pour elle le poème "Corona" qui sera publié dans sa version définitive en 1952, dans le recueil Pavot et mémoire:
nous nous regardons,
nous nous disons l'obscur,
nous nous aimons comme pavot et mémoire,
nous
dormons comme un vin dans les coquillages,

comme la mer dans le rai sanglant de la lune.
Leur lien, qui restera jusqu'à la fin nécessaire à leur vie, à leur oeuvre, viendra buter sur mille impasses et mille incompréhensions. Mais ni leur fardeau de silence, ni les secrets ensevelis dans le fond de leur coeur, ni les questions imprononcées dont ils traquent les réponses sur la bouche de l'autre, ni le poids terrible dans leur vie des mécomptes de l'Histoire, n'auront raison de leur obscur amour."

La semaine dernière, j'ai renouvelé mon abonnement Médiapart. Un article venait d'être mis en ligne. A travers le miroir brisé de l'après-guerre allemand: Paul Celan. Je l'ai lu, étonnée de le trouver même là. Des mots universitaires qui n'osent effleurer le poète. Compte-rendu d'un livre qui vient de paraître. Ai eu envie de relire les mots, ceux de Quignard, ceux de Salvayre. Ai entrouvert aussi Renverse du souffle.

Engholztag unter
netznervigem Himmelblatt. Durch
grosszellige Leerstunden klettert, im Regen,
der schwarzblaue, der
Gedankenkäfer.

Tierblütige Worte
drängen sich seine Fühler.

Jour d'aubier sous
une feuille nervurée. Par
des heures vides à grandes cellules grimpe, sous la pluie,
beau-noir, le
scarabée de pensée.

Des mots à sang animal
se poussent devant ses antennes.

mardi, 16 juillet 2013

Leçon de cigale à une fourmi

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Avant d'aller désherber et arroser le jardin, à l'heure où le soleil n'atteint pas encore la terre qui m'héberge,  je veux laisser ici les dernières lignes de Leçons de solfège et de piano:
"Je savais bien que la nuit serait là, quand je terminerai.
Je vais terminer par une version géniale de la cigale et la fourmi. Je vais terminer par la version de Babrios. C'est la fable CXL de Babrios.
-Pourquoi n'as-tu pas fait de provisions durant l'été? demande la fourmi dans Babrios de Syrie.
-Par manque de temps, répond la cigale de Babrios, car j'ai été contrainte de chanter le dieu afin que tu survives"

Nous pourrions, cet été, organiser une rencontre de cigales, histoire qu'elles frottent leur archet ensemble. Il y aurait la cigale de Babrios et celle de Maria Elena Walsh que j'ai découverte dans Espaces, instants.

jeudi, 11 juillet 2013

Leçons de solfège et de piano.

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Je ne suis pas musicienne, n'ai jamais pris un cours de solfège ni toucher les touches d'un piano. D'aucuns pensent même que je souffre d'arythmie. Pourtant, je sais les blanches et les noires des débats de mon coeur, les sons particuliers du jour qui va surgir de la nuit et les scolies de l'été. Je sais aussi les mélopées de la phrase de Pascal Quignard; les fulgurances qui précèdent le silence.
Hier, sur la route du retour qui ramenait D. de sa chimio, juste avant de quitter Rouen en suivant les méandres de la Seine, j'ai fait un détour par l'Armitière. J'étais sûre d'y trouver Parle-leur de batailles de rois et d'éléphants de Mathias Enard. D. venait de finir Rue des voleurs et je voulais qu'elle ait cette certitude le lendemain, quelles que soient les nausées qui l'assailliraient, de pouvoir continuer de se nourrir de son écriture.
Comme prévu, le roman, en un exemplaire unique, m'attendait sur son étagère, maintenu par L'alcool et la nostalgie et Tout sera oublié. Je l'ai dégagé de son étreinte, bien décidée à filer directement à la caisse sans laisser traîner mon regard. D. attendait dans la voiture sous un soleil de plomb et de cuivre. S'accorder juste un petit coup d'oeil sur la table des nouveautés en faisant le serment de ne rien toucher. Se parjurer aussitôt et lire la 4ème de couverture de Leçons de solfège et de piano. Stoppée dans mon élan. Désarçonnée. Comme une réponse éblouissante à la discussion que nous avions eu avec D. à l'aller. J'avais essayé de circonscrire mon verbe écrire. Mais ce verbe-là s'inscrit dans la marge et ne se laisse pas entourer d'un périphérique bruyant et traçant la limite d'un espace.
"Il est des choses qui blessent l'âme quand la mémoire les fait ressurgir. Chaque fois qu'on y repense, c'est la gorge serrée. Quand on les dit, c'est pire encore, car elles engendrent peu à peu, si on cherche à les faire partager par ceux qui les écoutent, qui lèvent leur visage, qui tendent leur visage, qui attendent ce qu'on va dire, une peine ou, du moins un embarras qui les redoublent. Elles font un peu trembler les lèvres. La voix se casse. J'arrête de parler. Mais alors je commence d'écrire. Car on peut écrire ce qu'on n'est plus du tout en état de dire. On peut écrire même quand on pleure. Ce qu'on ne peut pas faire en écrivant, quand on est en train d'écrire, c'est chanter."
Se ressaisir. S'emparer à nouveau de l'arçon. Filer au plus vite. Règler les deux livres. Rejoindre D.
Ce matin, réveillée par les sons d'un jour clairement installé, avant même de faire couler un premier café, j'ai avalé Leçons de solfège et de piano, un hommage à ses trois grand-tantes, comme les soeurs Brontë, qui s'enorgueillissaient de tenir l'orgue d'Ancenis, à Gérard Bobillier et Paul Celan et un règlement de compte à Louis Poirier, le futur Julien Gracq. Et à nouveau ce verbe écrire: "Primo Levi s'en prit une fois à Paul Celan avec violence. "Ecrire c'est transmettre, dit-il. Ce n'est pas chiffrer le message et jeter la clé dans les buissons." mais Primo Levi se trompait. Ecrire, ce n'est pas transmettre. C'est appeler. Jeter la clé est encore appeler une main après soi qui cherche, qui fouille parmi les pierres et les ronces et les douleurs et les feuilles mouillées, noires, gluantes de boue, ou craquantes, ou coupantes de froid, de la nuit, à l'Ouest du monde."

jeudi, 27 décembre 2012

Aujourd'hui un idéal de traverse.

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En ce matin pluvieux, la terre se ramollit, je continue de creuser la profondeur de mes pensées. Je vous laisse avec ces mots de Pascal Quignard...

"Les femmes et les hommes ne communiquent pas par les points où ils croient. Il est possible que notre souffrance ne se confonde jamais tout à fait avec la souffrance de ceux que nous aimons. Nos malheurs ne peuvent toucher directement l’autre. Nos douleurs ne peuvent toucher directement l’autre. Nos mains le peuvent. La force traverse la paroi, la pensée la caisse caverneuse de la tête, la volupté le sac de la peau, l’eau les yeux"
Vie Secrète
, 
Pascal Quignard

mardi, 08 novembre 2011

DEROUTE (2)

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"Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu'on porte en soi, devant cette espèce d'insuffisance centrale de l'âme qu'il faut bien apprendre à cotoyer, à combattre, et qui, paradoxalement, est peut-être notre moteur le plus sûr."
L'usage du monde, Nicolas Bouvier

Il a donc fallu quitter le GR pour de bon et se laisser dérouter, retour à la Biquetterie. Je n'aime pas ces jours qui suivent une longue randonnée: le corps est étonné de son immobilité, le regard tente de s'accrocher au paysage familier sans trouver d'aspérité et la main est orpheline de carte IGN. Sont-ce là les symptômes de "l'insuffisance centrale de l'âme"?
Je retrouve au pied de mon lit une pile de romans lus ces dernières semaines. Tous parlent de femmes en marche.
Le prix Médicis étranger: Une femme fuyant l'annonce de l'Israélien David Grossman et Ora qui, à coup de routes parcourues qui toujours l'éloignent plus de sa porte,  pense pouvoir échapper au fatum, au destin qui lui annoncerait la mort de son fils parti pour une opération militaire au Liban. Ne surtout pas être là lorsque des messagers viendront frapper. Une fuite qui pourrait avoir la force d'une conjuration.
Des solidarités mystérieuses de Pascal Quignard et Claire, Marie-Claire ou Chara -c'est selon- qui foule la lande de terre bretonne jusqu'à l'usure, écorchement de corps sur granit pour un amour puis son souvenir.
Le prix Goncourt des lycéens: Du domaine des murmures de Carole Martinez et Esclarmonde qui choisit de vivre en déroute, comprenez emmurée, emmurmurée, pour regarder le monde et ses désirs derrière des barreaux.
Traversée littéraire comme une autre façon de faire usage du monde...