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mercredi, 27 août 2014

Question de principe

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L'été dernier, nous avions fait crépiter la moitié de la façade de la Biquetterie. Nous promettant de nous y remettre avant que les jours froids ne reviennent. Promesse de cigales. L'automne, l'hiver et même le printemps sont passés sans que nous ne nous en soucions. En août, entre un retour des Cévennes et un départ vers les Cévennes, trois jours se sont imposés. Disons que j'ai tellement tanné M. que nous avons fini par ressortir l'échafaudage, les marteaux, les maillets, des gants, la chaux et le sable.
Le décrépitage d'une façade nécessite d'avoir à portée de remorque une déchèterie. En période estivale, ces lieux, en proportion de leur surface, sont tout aussi fréquentés que les plages. C'est là un va-et-vient incessant, longue procession sur la rampe d'accès aux bennes. Pour tromper le temps d'attente, on regarde. Les coffres s'ouvrir, les bâches virevolter. Que jettent donc les quidams dans des déchèteries? La logique étymologique répondrait de toute évidence: des déchets, à savoir « la quantité qui est perdue dans l'emploi d'un produit ». Détrompez-vous, d'à peine héritiers y balancent le contenu de la maison de la grand-mère qu'il faut bien vider -table, chaises, canapé, napperons, ustensiles de cuisine, boîte à couture, cadres de photos avec leurs photos, linge de maison- un apprenti jardinier qui ne possède pas de cheminée -ce qui n'est pas le cas de son voisin- y enfourne le chêne débité dans l'après-midi. En un week-end, il y aurait de quoi aménager et chauffer plusieurs logements, ne serait-ce qu'en venant se servir. Vol condamné par la loi.
Lors de notre dernier accès aux bennes, une femme a ouvert son coffre et en a sorti trois superbes grosses bonbonnes en verre -bonbonnes que je suis en mesure de nommer "dame-jeanne" après le passage d'Yves dans les commentaires. On les récupère, a lancé M. Avant qu'elles n'atterrissent dans les encombrants, avant que nous ne tombions sous le coup de la loi.
Faut préciser qu'en juillet, au festival Rêves de nuit, j'avais été subjuguée par le théâtre performance de Nico, Au coeur de la nuit: perché sur un vélo, il pédalait. Pour éclairer les loupiotes dans des dame-jeanne qui traçaient un chemin dans l'obscurité, jusqu'en contrebas, à flanc de colline. Pour éclairer l'arbre sur lequel il avait juché son vélo. A chaque tour de pédale, la chaîne grinçait et lui, remontait le long de sa mémoire, loin au-dessus de nous. Au coeur de la nuit, les souvenirs s'imposent de façon désordonnée ou bien avec une logique qu'eux-seuls connaissent. Quand son visage se crispait, on ne savait plus si c'était parce que les images qu'il réveillait étaient encore trop à fleur de peau ou parce que l'effort physique l'épuisait.
Depuis ce soir-là, je me suis mise à rêver d'un chemin de verre lumineux dans le jardin de la Biquetterie, jusqu'au cerisier de Montmorency. Pour l'instant, l'arbre est trop jeune pour supporter le poids d'un vélo et pas assez haut. Mais plus tard, j'aimerais bien y remonter le fil de mes souvenirs, au creux d'une nuit.
On les récupère, a lancé M. La femme, une dame-jeanne dans chaque main, s'apprêtait à commettre l'irréparable. Elle a suspendu son geste, nous a fixées, hautaine dans son bermuda bleu, son polo rose et ses chaussures de sport qui n'avaient pas été conçues pour s'adonner à la moindre activité sportive. Certainement pas, s'est-elle offusquée, question de principe! Joignant le geste à la parole, elle les a jetées avec assez de rage dans la benne pour qu'elles explosassent en mille éclats. J'en suis restée bouche bée. De quel principe s'agissait-il donc là?
Le gardien, après son départ, a rattrapée la dernière dame-jeanne qu'il avait placée délicatement en équilibre pour qu'elle ne s'ébréchât pas. Il nous l'a tendue, l'air malicieux. Dessus était écrit, au feutre noir, Pépère.
Depuis, elle trône, dans le jardin, entre capucines et misères. Elle attend le coeur d'une nuit.

 

Commentaires

Pour vous consoler de n'avoir récupéré qu'une dame jeanne et vous faire rêver : ce que des ami-e-s font de ces bouteilles. (http://ahoui.eklablog.com/s-emerveiller-a108870586).

Écrit par : Yves | mercredi, 27 août 2014

Yves, le lien me renvoie vers une page error. Auriez-vous oublié de la sortir d'un carton?
Je ne connaissais pas l'AOC Dame Jeanne. Merci.

Écrit par : la bacchante | jeudi, 28 août 2014

Il faut juste supprimer la parenthèse et le point dans l'url... Ci-dessos, ça roule :
http://ahoui.eklablog.com/s-emerveiller-a108870586

Je me suis aperçu, après envoi, que dame jeanne était un peu abusif pour la grosse bouteille que tu montres.

Écrit par : Yves | vendredi, 29 août 2014

J'ai aussi récupéré une véritable dame-jeanne pendant l'été. Et de toute façon, c'est plus poétique que bonbonne!

Écrit par : la bacchante | vendredi, 29 août 2014

Principe imbécile à n'en pas douter. Aux antipodes du mien : éviter de jeter aux oubliettes ce qui peut encore trouver une nouvelle vie. Pfff!

Écrit par : Zoë Lucider | mercredi, 27 août 2014

En mai, nous avons, avec des amis, organisé une gratiféria pour donner justement une nouvelle vie à tout ce qui peut s'entasser dans nos greniers. Que de nouvelles vies!

Écrit par : la bacchante | jeudi, 28 août 2014

(Tu pourrais mettre ça en nouvelle...)

Écrit par : Laurent | vendredi, 29 août 2014

Voire en roman. Cela raconterait comme je passerais mes ouiquendes à la déchèterie à tenter de sauver ce qui était promis à la destruction.

Écrit par : la bacchante | vendredi, 29 août 2014

Alors là je tombe de ma chaise! La loi française interdit la récup de ce que les autres jettent? Et quelle est la raison de cette aberration?

Heureusement qu'ici c'est (encore?) permis...tant et tant de gens s'y meublent, vêtent etc...

Écrit par : Colo | vendredi, 29 août 2014

Je ne sais pas si je vais oser te dire la raison officielle: on risquerait de tomber dans les bennes!!! Comment faites-vous chez vous?

Écrit par : la bacchante | vendredi, 29 août 2014

C'est pas vrai? J'hésite entre rire et pleurer....

Ici, je te parle de mon village de 1300 habitants, nous avons une carte magnétique qui ouvre les portes du parc pour pouvoir y aller quand on veut; les après-midi le monsieur qui en est chargé s'y trouve. Nous sommes obligés de tout, absolument tout recycler car les containers dits "généraux" ont disparu il y a longtemps.
I
Nous jetons et / ou prenons tout ce que nous voulons, et depuis trois ans le trafique y est intense...même si les gens jettent de moins en moins...la crise a du bon aussi!

Écrit par : Colo | vendredi, 29 août 2014

A la rentrée, je suis bien décidée à obtenir un rendez-vous à la Communauté d'Agglo pour faire avancer les choses.

Écrit par : la bacchante | vendredi, 29 août 2014

La bacchante et colo : figurez-vous que votre conversation tombe pile poil avec un récit que j'ai terminé il y quelques jours !

La coïncidence est plus amusante que vraiment surprenante. Vous aurez de quoi lire sous peu ! Quel suspense ! Passez de belles journées d'ici là.

Écrit par : K | dimanche, 31 août 2014

Je suis impatiente de te lire!

Écrit par : la bacchante | dimanche, 31 août 2014

Les commentaires sont fermés.