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mardi, 15 janvier 2008

APPRIVOISER LA POÉSIE

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Photo d'Ours Gris, Lune de solstice

 

Lorsque la patronne de l’Oiseau Lire m’a proposé d’écrire un article intitulé « enseigner la poésie » pour Citrouille, le journal des librairies jeunesse, j’ai souri. Comment parlerai-je de quelque chose que je ne pratique pas ?  Je ne sais pas enseigner les voies et les boulevards pour entrer avec certitude dans l’improbable sens unique d’un poème. Et pourtant j’ai accepté de dire ce que je vivais au jour le jour avec mes étudiants, futurs professeurs des écoles. C’est sans doute que je pressentais que je pourrais gratter le mot enseigner, y découvrir un premier sens oublié.
Enseigner, il y a quelques douze siècles, signifiait « faire connaître par un signe ». Alors, oui, dans ce cas-là, j’enseigne la poésie.

Les mots, les mots
Ne se laissent pas faire
Comme des catafalques

Et toute langue
Est étrangère.
Guillevic, Art poétique, in Terraqué


La langue lorsqu’elle se fait poème déroute, apeure. Elle n’est plus logique et fonctionnelle. Elle s’ouvre aux failles et tremblements. Aussi, j’aime ouvrir chacun de mes cours par la lecture d’un poème et laisser ces secousses sismiques rendre incertaine notre langue maternelle. Certes, au début de l’année, surgit l’invariable question :
-    Qu’est-ce que cela veut dire ?
Dans Algues, Sable, coquillages et crevettes (Cheyne), Jean-Pierre Siméon s’interroge lui aussi :
« Qu’en est-il donc du sens du poème ?
Il n’existe décidément que dans l’échauffement de trois volontés : celle du poète, celle du poème, celle du lecteur. Celle du lecteur étant, in fine, souveraine et décisive puisqu’elle est tout bonnement la dernière à s’exercer dans la chaîne de la création.
Terrible responsabilité du coup, n’est-ce pas ?
Et voilà de nouveau un impédiment à la lecture du poème. Le lecteur ayant admis qu’il était maître du jeu –du sens- a peur. Peur de se tromper, d’être à côté, d’être contre. Peur de l’insuffisance, du faux-sens, du contresens. Il peut y avoir insuffisance de lecture, soit, de faux-sens et de contresens, jamais. »
-    Alors, qu’est-ce que cela veut dire ?
Cela ne veut rien dire. Cela dit. Accepter que le sens ne soit plus premier et unique, accepter de se laisser porter par des rencontres sonores, des images qui ne sont plus le fidèle reflet du réel raisonnable. Chercher dans l’obscur la présence de la clarté.

Et au milieu de cette quête, n’être qu’un simple sémaphore. Je provoque des faces contre faces et attends.


Prenez un toit de vieilles tuiles
Un peu avant midi.



Placez tout à côté
Un tilleul déjà grand
Remué par le vent.

Mettez au-dessus d'eux

Un ciel bleu, lavé

Par des nuages blancs.



Laissez-les faire.

Regardez-les.
Guillevic, Avec


Le vent n’a pas le temps d’arrêter de souffler que déjà un étudiant arrive, l’œil lumineux, un recueil tout contre lui. Sait-il seulement celui-là, qu’en lisant le poème, il dit aux autres que le langage poétique n’est pas réservé à un cénacle littéraire ? Il dit qu’il a enfin accepté de conquérir les mots et d’être conquis par eux. De lectures en ateliers d’écriture, d’autres l’ont suivi depuis. Il en est toujours pour les regarder, étonnés. Pour eux, des pas sont encore à franchir, ils les franchiront. Je n’ai pas peur, il y a tant de poèmes encore à se lire...






Commentaires

quel joli témoignage...

pour moi qui y suis confrontée au niveau du lycée (la poésie est au programme de première), j'avoue ne pas trop savoir comment relier les traditionnelles, fussent-elles éblouissantes, explications de texte, celles qui donnent du grain à moudre (et des béquilles, et du tranquillisant pour dormir la nuit...), à mes futurs candidats à l'oral du bac, terrorisés par les longues dix minutes qu'il leur faut combler de leurs mots malhabiles, comment les relier donc à la poésie, ce "regardez-les", ce savoir-écouter qu'aucun impératif ne peut ordonner, et qu'aucune note ne pourra jamais sanctionner... l'aborder autrement, oui, bien sûr, mais le cadre scolaire qu'on avait fichu à la porte à force coups de pied et qui grimace derrière la vitre, finit toujours par re-rentrer par la fenêtre et re-rigidifie l'enseignement...

Écrit par : Agaagla | mardi, 15 janvier 2008

"Comment parlerai-je de quelque chose que je ne pratique pas ?"
Bizarre, tu n'as jamais essayé d'écrire de la poésie ?
Tout le monde s'y essaie à l'adolescence, non ?
Essayer d'extraire la musique de mots mis bout à bout, tordre les vers dans tous les sens, faire sortir le trop-plein de ton coeur...
Moi, j'ai des périodes "poésie" et j'y ai retrouvé un nouvel intérêt depuis que j'ai découvert les haïkus.

Écrit par : Micheline | mercredi, 16 janvier 2008

J’ai des comptes à régler avec la poésie, non, pas avec la poésie, mais avec ceux qui te l’enfoncent dans le cerveau comme on le ferait pour un lavement avec l’outil approprié! Et encore moi j’avais un truc qui me préservait: j’aimais faire le dessin qui devait être sur la page-en-face, des fois j’aurais aimé en faire tout autour! Bof, maintenant je me rattrape…
Enfin pour moi la poésie, ça revenait surtout à deux choses:
1 apprendre par cœur( Ô Eternel que ce mot est mal approprié pour cette circonstance!)
2 faire le dessin qui va en face( ça , ça me bottait! Un devoir où on dessine!)
Ce qui fait que le cauchemar d’être interrogé et de se retrouver debout serrant des fesses et débitant l’esprit blanc que la campagne blanchit et tout ça, et bien tu m’étonnes que les bouquins de poésies se vendent à la pelle et sous le manteau!
Et puis comme tout doit arriver un jour, tu vieillis, et sans te prévenir, il y a des mots empilés en ordre magique(bien sur!) qui t’attrapent et te roulent dans l’herbe, la farine, la suie, ou la poudre de motu-motu, et tu te retrouves assis sur ton séant alors que tu pensais être debout bien droit dans tes sabots. Et là tu te rends compte que tu viens d’être victime d’un attentat à la poésie, alors tu demandes une enquête, qui a commis cette chose, je veux savoir connaître, je veux que l’on m’explique!
Mais moi, je n’y arrive pas, à expliquer et surtout à m’expliquer, pourquoi des fois ça m’attrape et que d’autres fois que dalle! Ca glisse sur moi comme un pet sur une toile cirée, c’est peut être ça la magie de la poésie.

Écrit par : ours gris | mercredi, 16 janvier 2008

AGAAGLA et OURS GRIS: il ne vous reste plus qu'à dialoguer ensemble!
MICHELINE: le "quelque chose" que je ne pratique pas est "enseigner la poésie". Autrement l'écriture poétique me fait jubiler!

Écrit par : indigo | mercredi, 16 janvier 2008

Aïe ! au temps pour moi ! je n'avais pas bien lu.
Moi non plus, je ne me vois pas "enseigner" la poésie :-)

Écrit par : Micheline | mercredi, 16 janvier 2008

Ce que j'aime dans la poésie c'est sa magie.
Lire un poème, c'est accepter d'entrer dans un univers, dans un monde où chacun va percevoir dans les mots sa petite musique, un univers qui certes nous fait peur - apprendre déchiffrer et déchiffrage commun s'il vous plaît - mais qui le jour où l'on accepte de se laisser saisir va alors apporter tant et tant...
La poésie je l'ai croisée il y a de cela quelques longues années, et un jour, une rencontre, quelques mots et j'ai laissé la porte s'ouvrir. Que de plaisir...

Écrit par : Moucheron | mercredi, 16 janvier 2008

Je connais ce poème, je l'avais oublié... Une idée de lecture - merci.

Écrit par : qui, au fait? | jeudi, 17 janvier 2008

J'allais écrire des conneries mais je m'abstiens. Autocensure quand je te tiens...!

Écrit par : David | vendredi, 18 janvier 2008

DAVID:Arrètte de dire des gros mots

Écrit par : Quinte de mots | vendredi, 08 février 2008

"Le langage poétique n’est pas réservé à un cénacle littéraire".
Dieu soit loué ! :-)

Écrit par : Michel | mercredi, 13 février 2008

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