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dimanche, 29 mars 2020

Aux confins de soi (8)

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© Antoine Farizon

Il y a eu le fracas du vent contre les nuages
le retour du froid
il y a eu plus de fenêtres fermées qu'ouvertes

et, ou donc, le ménage de la biquetterie
il y a eu la montée jusqu'au panorama
pour suivre du regard les méandres de la Seine
elle aussi ne file pas droit

il y a eu toi au moment du café-clope
Il y a eu la lecture d'Ordesa
et de textes d'élèves sur César doit mourir
le confinement des prisonniers de Rebibia
dans leur cellule, dans leur peau
la porte ouverte par le théâtre
il y a eu deux fois La mort d'Achille
l'hybris d'Agammenon devant le corps du héros
les paroles de sa mère Thétis
"j'entends les gouffres des vies qui s'éteignent
comment savoir ce qui peut consoler les morts
quand nous n'avons toujours pas trouvé
ce qui peut consoler les vivants"
il y a eu l'écho de ce que nous vivons
il y a eu la photo de sachets de graines prêts à être expédiés
il y a eu le beefsteak des Andes de tante Ruby
il y a eu plusieurs fois et à tue-tête Seeds
il y a eu une heure de moins
il y a eu la lumière revenue alors que c'était déjà le soir
 

samedi, 28 mars 2020

Aux confins de soi (7)

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il y a eu les brumes matinales dans la plaine et le soleil au-dessus
tache de lumière sur la rétine en ouvrant le velux
il y a eu le premier café-clope et la lecture de La vitesse sur la peau dans le transat
il y a eu le retour de trois oies sauvages
le cercle d'un rapace
les allées et venues des abeilles au creux de l'hellébore

il y a eu dans le cerisier deux mésanges  qui zinzinulaient
il y a eu l'appel-vidéo de mon fils confiné dans son appart
le partage des ancolies et des pivoines prêtes à s'ouvrir
l'iris sur le point de se déplier

le violet des tulipes et le bleu des myosotis
côte à côte
il y a eu la décision de ne fumer que toutes les deux heures
il y a eu la route à vélo jusqu'aux Hauts Prés pour les légumes
puis jusqu'à la brasserie des deux amants pour la bière
il y a eu Wadji Mouawad jour 11
tout en préparant les blettes cueillies hier dans le potager
il y a eu toi au moment du café-clope
il y a eu les plumes de paon et les papillons
cousus le long d'une branche de noisetier tortueux
il n'y a pas eu de radio

il y a une journée qui s'écoule
et moi qui apprends à ne pas nager à contre-courant

 

jeudi, 26 mars 2020

Aux confins de soi (6)

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Nouvelle journée de confinement. La 11ème. Nous avons passé ce stade où les doigts des deux mains réunies ne suffisent plus. Il y a eu des jours évidents, d'autres où je me suis sentie comme une mouche contre la vitre.
Peu à peu, j'ai pris mes repères dans l'espace tracé par la biquetterie. Peu à peu, j'ai accepté les limites imposées. Plus que jamais, j'ai ressenti la force de la littérature. Dans ma salle, j'ai élevé une tour de Babel. Tous les livres qui la composent ont un point commun : leurs héros sillonnent le monde.  Hier j'ai ouvert L'Odyssée et ai pensé aux paroles de Wadji Mouawad dans son journal de confinement : Ulysse n'aspire qu'à une chose, se confiner à Ithaque ! Demain j'irai Bourlinguer avec Blaise Cendrars, pendant des heures, sur des centaines de kilomètres et sans formulaire d'autorisation de sortie.
Peu à peu, j'ai organisé mes heures, me levant tôt pour consacrer ma matinée à la continuité pédagogique. Onze jours et il y a déjà presque quelque chose d'habituel dans le fait de me retrouver devant mon ordinateur pour de longues heures silencieuses, quelque chose que j'accepte, sans plus me dire : il y a peu, j'étais encore devant mes élèves.
Ce matin, assise à mon bureau, attendant que s'ouvre mon Espace Numérique de Travail, j'ai laissé mon regard s'échapper dans le jardin, jusqu'au portail. La rue est vide et ce jour, semblable aux dix autres précédents, est vide de quelque chose auquel je ne m'habituerai pas : un passage à l'improviste. Cela n'est plus. Les voisins sont confinés, les amis sont confinés, mes enfants sont confinés.
Récupérant mon regard, je me suis attelée à la tâche : mettre en ligne mes cours, corriger des copies numériques, répondre aux nombreux messages d'élèves. Leur expliquer encore et encore ce qui n'a pas été compris, sans compliquer une situation qui l'est déjà assez. A chaque mail envoyé grandit mon impatience de les retrouver tous, de reprendre les cours, les yeux dans les yeux. Quelle empreinte, le confinement aura laissée chez chacun ?
J'en étais là de mes réflexions lorsque on a frappé au portail.
- Y a quelqu'un ?
Ce ne pouvait être un voisin, mon amie ou l'un de mes enfants. Ceux-là rentrent sans frapper. Un vendeur ambulant de patates ou un témoin de Jéhovah ? Ni l'un, ni l'autre mais un jeune homme parlant vite et quelque peu paniqué.
- Deux de nos biquettes sont dans votre jardin, derrière la maison. Vous nous autorisez à rentrer pour les attraper ?
Le jardin en question est mon potager, depuis onze jours j'y ai multiplié les semis !  Je m'y précipite avec lui. J'y trouve un autre homme qui me demande si on peut fermer le portail. Impossible, il est tellement rouillé qu'il ne ferme plus. Il s'empare des poubelles pour bloquer le passage, je me suis lavé les mains, ne vous inquiétez pas ! J'imagine bien, mon gars, qu'avant de courir après tes biquettes, tu t'es dit, tiens je vais me laver les mains au cas où il faudrait toucher des poubelles ! Il en attrape une première par les pattes -une biquette pas une poubelle- et veut la confier à son compère. Celui-là refuse de la prendre, a peur de se faire mordre, regarde un sac de jardinage, espère l'y mettre. Fais pas ta femmelette, prends-la ! qu'il lui dit. J'entonnerai mon couplet féministe un autre jour. Pendant ce temps de répit, la seconde biquette lorgne vers les jeunes pousses de fèves et de pois mange-tout. Oh les gars, si vous ne vous décidez pas, je vais l'attraper ! Finalement l'hommelette prend à deux mains son courage et la biquette, ce qui libère les mains du premier pour récupérer la seconde. Vous suivez ?
Avant de repartir, ils se sont confondus en excuses.
Moi je les ai remerciés pour l'imprévisible qu'ils avaient fait entrer dans ma journée de confinement. En les regardant s'éloigner, je me suis demandé s'ils avaient pensé à prendre dans la précipitation leurs formulaires d'autorisation de sortie après avoir coché la case "course de première nécessité".

mardi, 24 mars 2020

Aux confins de soi (5)

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© Pili Vazquez

Nouvelle journée
de confinement strict
pour les nuages aussi

 

lundi, 23 mars 2020

biffure 76

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© Pili Vazquez

Pause un livre à la main
pour atténuer la distance

défense de laisser s'installer
sur mon visage un mouvement de tristesse

avant les gens riaient
légèreté disparue du jour au lendemain

plus tard on reprendra ce sentier du désir
qui allait et venait

Biffure de la page 255 de Les choses humaines de Karine Tuil

15:39 Publié dans BIFFURES | Lien permanent | Commentaires (1) |  Facebook |

samedi, 21 mars 2020

Aux confins de soi (4)

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Le confinement ralentit et aiguise mon regard. Il apprend à se poser sur le cerisier et à demeurer à l'extrémité d'une de ses branches.
Hier, j'ai écouté Le journal de confinement  de Wadji Mouawad. Mon regard s'en trouve transformé, un peu plus encore. L'arbre, dans mon jardin, est confiné. Depuis seize ans, l'arbre est confiné dans mon jardin ; moi, depuis seize ans, je suis allée et venue. Aujourd'hui, nous sommes face à face. Lui immobile, moi, immobilisée. Mon regard sur lui.
Sur fond de ciel laiteux, ce matin, sa première fleur s'est ouverte. Plus imprudente, plus curieuse que toutes les autres. Autour d'elle, l'inhabituel silence des choses humaines et la présence décuplée des mésanges.
Sait-elle qu'il y a quatre ans, cet événement s'était produit un 13 avril ?
Sur les confins d'une autre terre, la première fleur de ton pêcher. Au début du mois, nous l'avions déconfiné de quelques mètres.

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© Pili Vazquez

vendredi, 20 mars 2020

Aux confins de soi (3)

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Je me sens saule pleureur
les larmes en moins
penchée au-dessus de moi
à chercher le reflet du monde
dans la rivière qui s'écoule

 

mercredi, 18 mars 2020

Aux confins de soi (2)

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© Pili Vazquez

matinée de brume et après-midi de grand soleil
la biquetterie est dans sa ouate
et moi
à ma table de travail ou dans mon jardin
comme un noyau dans son fruit *

*J'aurais bien aimé qu'elle soit de moi mais la comparaison est de Rilke

 

mardi, 17 mars 2020

Aux confins de soi (1)

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Outrenoir : je ne savais pas la semaine dernière, alors même que je lançais le Printemps des poètes dans mes classes, combien l'affiche de Soulages était prémonitoire. Les établissements scolaires ont fermé, puis les théâtres, les bibliothèques, les librairies et les cinémas. Sur eux tous : rideau noir
Crève-coeur : mon agenda s'est vidé de toutes les rencontres prévues. Reportée sine die la lecture poétique de mes élèves à la médiathèque Boris Vian.

Fait rage : la pandémie qui trace de nouvelles frontières invisibles. L'espace se réduit, se resserre.
Courage : le prendre à deux mains. Le regarder encore et encore sous toutes ses faces. Avec lui, habiter ces jours inhabituels.  On ne sait plus de quoi demain sera fait -l'a-t-on seulement su une seule fois ?- autant cueillir chaque jour. Renoncer à survivre et apprendre à vivre chaque instant d'un temps ralenti...

 

mercredi, 11 mars 2020

biffure 75

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Auschwitz, février 2020

Ruines d'Auschwitz
se taire au milieu de l'impensable
retour en France
difficile de dire

sur la cellulose
l'impouvoir de l'encre ou du crayon
éparses les lettres

Biffures de la page 189 du Ghetto intérieur de Santiago H Amigorena et de la page 53 d'Eparses de Geoges Didi-Huberman.

15:33 Publié dans BIFFURES | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook |