Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

samedi, 30 novembre 2013

B.N.F.

bnf3.jpg

De lundi à mercredi, je suis devenue un rat de bibliothèque. De luxe. La bibliothèque, pas le rat. Trois jours de colloque à la B.N.F., trois jours dérapés du quotidien, trois jours pour s'interroger sur les métamorphoses du texte et de l'image à l'heure du numérique.
Obligation était faite chaque matin d'être à l'Ouest pour cause de rénovation de l'entrée Est. Descente entre la Tour des Lois et celle des Nombres.

bnf.jpg

Le temps de l'escalator du descalator, laisser le regard glisser le long des pins qui ne s'étonnent plus de la Tour des Lettres, toujours d'équerre.

plan-bnf-300x161.jpg

Une fois à l'intérieur, emprunter le chemin le plus court et longer le cloître par la Galerie Sud. La moquette orange absorbe le bruit des pas pressés. Les conversations se feutrent, elles-aussi. Passer devant Astérix et Matthew Barney, tous deux endormis encore à cette heure. Traverser le pont-levis drapé de cotte de mailles et entrer dans le Grand Auditorium.

Le soir, sortir du Grand Auditorium et préférer la Galerie Nord, plus propice à la lenteur. Laisser la mémoire vive se délasser et s'étirer avant de rejoindre la cacophonie de la ville aux heures de pointe. Y déplier les plis et replis de la journée.
 

bnf4.jpg

 
A main gauche, les derniers habitués du lieu, un oeil sur leur in-folio et l'autre sur leur I-pad: ils profitent de quelques minutes encore de connexion wifi.
A main droite, le cloître maintenant immergé dans les ténèbres. Le long de la galerie, des lutrins -on appréciera au passage le désir de l'architecte de pousser la métaphore religieuse jusque dans ce recoin-là- nomment les essences des arbres que le regard ne distingue plus. Les pins du matin en deviennent sylvestres. "Urbains" aurait été plus juste. Déracinés de la forêt de Bord -à deux enjambées de la Biquetterie- depuis un presque quart de siècle. Leur canopée devait surplomber toutes les autres. Ré-enracinés là. Enfouis entre les Tours des Lois, des Nombres, des Lettres et des Temps. Leur arrive-t-il certains soirs de laisser monter quelque mélancolie en place et lieu de leur sève?

Le temps de l'escalator, les saluer d'une tendresse toute particulière. 

bnf2.jpg

samedi, 23 novembre 2013

Que reste-t-il d'un spectacle...

1276378_665279346817833_589158964_o.jpg
Samedi 16 novembre, Cirque Théâtre d'Elbeuf: Opus, Compagnie Circa et Quatuor Debussy

 

 

Article-denis-lavant.jpgMardi 19 novembre, Théâtre les Chalands: Faire danser les alligators sur la flûte de pan, Denis Lavant

 

 

497-enzo-zoom.jpg

Jeudi 21 novembre, le Moulin: Enzo Enzo chante Marie Nimier

Semaine spectaculaire de soir en soir et cette interrogation inévitable: que reste-t-il d'un spectacle après qu'on l'a vu? Des images fugitives, des tremblements intérieurs, des émerveillements bouche bée et soi devant la scène à nouveau vide, soi peut-être transformé, un je-ne-sais-quoi d'imperceptible. On en parle avec ceux qui étaient dans la salle. L'indigence des mots mais l'étincelle nouvelle allumée dans le regard.
On aimerait trouver des verbes si puissants qu'ils se feraient chair pour une fois. On les placerait ici et apparaîtraient alors quatorze corps désarticulés jusqu'à l'invraisemblable et un quatuor, Louis-Ferdinand Céline, celui de Voyage au bout de la nuit et celui de Rigodon, et une femme pétillante qui laisse sa voix glisser sur les mots d'une autre femme...

samedi, 16 novembre 2013

Le quatrième mur (2)

349057970.3.jpg

Le quatrième mur: je l'avais découvert dans le dernier tournant de l'été. Chaque matin comme un rituel: courir jusqu'au panorama au-dessus de St Pierre du Vauvray pour accueillir là-haut, seule au-dessus des champs, le premier rayon de soleil. Oublier l'effort de la montée en écoutant dans mon I-machin Les Bonnes Feuilles, consacrées à la rentrée littéraire. Un corps qui court est étonnant: il est capable d'une écoute sans faille ni pensée parasite. Je me souviens parfaitement du timbre de la voix de Sorj Chalandon lisant l'incipit de son quatrième mur. "Tripoli, nord du Liban, jeudi 27 octobre 1983" La distance qu'il y avait dans sa voix. Cela ne concordait pas avec la violence des premiers lignes. Plongée "in medias res". Goût de poussière des premiers paragraphes.
Dans la foulée, je l'avais lu. Avidement. Inscrite aux abonnés absents pendant deux jours. Reculant le moment où il faudrait rejoindre le quotidien, y être à nouveau.
Depuis je n'avais eu de cesse d'en conseiller la lecture: si tu as un roman à lire, c'est celui-là. J'espérais pour lui quelque prix littéraire. Non pour la gloriole enfiévrée de l'antichambre du restaurant Drouant mais pour que se multiplie le nombre de ses lecteurs. Je clamais haut et fort, sur le ton convaincu de quelque Sibylle inspirée qu'il aurait le Goncourt. Il vient de recevoir bien mieux que le Goncourt: le Goncourt des lycéens!

mercredi, 13 novembre 2013

Henry VI, François et les autres

unknown pleasures.jpg

« C’est un apaisement d’avoir dans nos cités ces espaces noirs vides et silencieux d’où la création peut jaillir. C’est un espoir d’y voir se rassembler le public, tous les publics qui constituent le temps d’une représentation une communauté éphémère. Le théâtre rassemble parce que la culture est un bien commun. En ces temps douteux de division, le théâtre devient un endroit de résistance et une preuve rassurante de l’intelligence et de discernement citoyen. »

ou encore

"Monter Henry VI c'est donc, je le crois interroger notre époque par ce qui serait son origine en assistant à l'abandon par l'Homme d'un monde de valeurs communautaires pour un monde individualisé. Sous la plume Shakespearienne, dans la peinture de la lutte pour le pouvoir, on peut déceler, en germe, les attitudes fallacieuses des factions politiques, la perversion de la subordination, le mépris grossier à l'égard des femmes, l'étouffement de la vertu par l'ambition et finalement ... la violence mais aussi la tristesse du chacun pour soi." Thomas Jolly, à propos d'Henry VI

Toute coïncidence ou ressemblance avec des personnages réels n'est ni fortuite ni involontaire.

dimanche, 10 novembre 2013

Henry VI de Shakespeare par la Piccola Familia

henry vi, thomas jolly, piccola familia
copyright Nicolas Joubart

Hier nous avons quitté la Biquetterie à l'heure où la nuit a une grande marge devant elle et où le jour ne sait pas encore quelles teintes il déclinera. Nous avons traversé le duché de Normandie et une partie du duché de Bretagne. Arrivée à Rennes à 9H.
Ce samedi 9 novembre, nous l'avions programmé de longue date. Depuis septembre, nous avions réservé nos places au TNB pour aller voir Henry VI de Shakespeare, mis en scène par Thomas Jolly. Pour percevoir un tant soit peu l'impatience qui nous rongeait, songez à votre série préférée: vous venez d'apprendre qu'une nouvelle saison serait programmée deux mois plus tard.
Nous avions vu les épisodes 1 et 2 d'Henry VI lors de leur création à Cherbourg, en janvier 2013. Nous les avions revus le mois suivant lorsque la troupe s'était installée à Louviers. Ensuite, nous avions dû nous résoudre à attendre que l'épisode 3 soit créé, en compagnie d'Henry VI menacé par la sombre vengeance du duc d'York et la reine Marguerite portant le fruit de ses amours adultères. Quant à Gloucester et Bedford, ils n'étaient plus de la partie: ils avaient rendu un dernier souffle mémorable à la fin de l'épisode 2. Cela dit en passant, Môôôsieur William, vous auriez pu faire quelque entorse à l'Histoire d'Angleterre et garder ces deux-là plus longtemps sur scène en prévision du jour où ils seraient interprétés avec une telle maestria par les acteurs de la Piccola Familia!

henry vi, thomas jolly, piccola familia

Samedi 9 novembre, TNB de Rennes, de 11h à minuit, Henry VI, épisode 1, 2 et 3
Les portes s'ouvrent tôt. L'impatience et l'excitation sont tangibles dans la salle. Avec le public est rentrée l'odeur des galettes-saucisses qui cuisent dehors en prévision du premier entracte. Pour tromper le temps qui ne veut pas accélérer son cours, je lis la présentation de la pièce par Thomas Jolly: Henry VI relate la lente dégénérescence du monde. Shakespeare la traduit en basculant petit à petit du registre flamboyant de la comédie à celui crépusculaire de la tragédie. La mise en scène suit cette courbe descendante en s'appuyant sur une alliée rare et précieuse au théâtre: la durée. On entre dans Henry VI en plein jour, on en sort au creux de la nuit. Les premiers mots de la pièce le commandent: "Cieux, tendez-vous de noir! Jour, fais place à la nuit!"
Pour parler de ce qui s'est passé après, de 11h à minuit, je sais déjà que les mots vont faire défaut: un éblouissement permanent entre rires et larmes, les mille facettes d'un kaléidoscope concentrées en un plateau de scène, le temps arrêté, suspendu, la disparition du jour et de la nuit et soudain le rideau noir qui tombe non pour signaler un nouvel entracte mais bien pour la dernière fois. Prolonger les applaudissements le plus longtemps possible, jusqu'à ce que les paumes supplient de les prendre en pitié, espérer qu'en entendant ce crépitement de joie et d'émotion, la troupe comprendra quel miracle elle venait de nous offrir.

henry vi, thomas jolly, piccola familia

L'intégrale d'Henry VI - épisode 1, 2, 3 et 4- sera jouée cet été au festival d'Avignon. Nous devons donc nous résoudre à attendre que l'épisode 4 soit créé en compagnie de la reine Marguerite plus farouche qu'une Amazone et son indécis époux. Quant au duc d'York, il n'est plus de la partie. Il a rendu son âme et sa tête à la fin de l'épisode 3.

vendredi, 08 novembre 2013

Vortex, Compagnie Non Nova

vortex113_credit-jean-luc-beaujault.jpg

VORTEX n.m. lat. vortex, icis m. Tourbillon creux qui apparaît dans un fluide en écoulement

Vortex, Compagnie Non Nova, Cirque Théâtre d'Elbeuf, du 7 au 9 novembre 2013
La scène est encerclée de ventilateurs. A un point du cercle, un être, énorme, difforme, tout de noir vêtu, affublé des signes distinctifs de l'homme invisible -chapeau et bandelettes sur le visage- se tient à genoux; toute son attention est accaparée par des sacs en plastique, de ceux qu'on ne vous donne plus que rarement à la caisse des supermarchés: il les découpe avec minutie, agence les morceaux. De là où je suis assise, les morceaux assemblés deviennent des marionnettes étêtées au phallus démesuré. Une fois l'ouvrage fini, il lance  les sacs au centre du cercle tourmenté par les souffles. Les plastiques restent quelques secondes avachis avant de se gonfler, de prendre forme et vie: c'est soudain un ballet insoumis d'êtres légers qui cherchent la verticalité et l'ayant atteinte regagnent le sol aussitôt.
Puis l'être se débarrasse, s'extrait de ses couches: il abandonne aux vents sa mue noire avant d'entreprendre avec elle une danse érotique, un combat, la scène devient arène. Il se vide de boyaux en plastique et d'un gigantesque placenta qui cherchent à leur tour la verticalité. L'être difforme se volatilise d'enveloppe de substitution en enveloppe de substitution et la peau apparaît enfin, celle d'une femme.
Un spectacle qui a imprimé pour longtemps la rétine de ma mémoire.

spec_32_visuel.jpg

lundi, 04 novembre 2013

Vos rêvent nous dérangent.

vos rêves.jpg


Vos rêves nous dérangent, Exposition photographique, Dulce Pinzón, Mikhael Subotzky, Achinto Bhadra.
Du 25 septembre au 15 décembre 2013, Parc de la Villette

Est-ce parce que l'entrée de cette exposition-là est libre que le concept même de file d'attente a disparu? Dès que nous entrons, l'hypothèse ne tient plus. Les salles sont presque vides, le Tout-Paris ne s'est pas rendu là. Nous avons l'espace de déambuler d'un univers à l'autre, de dissimulés en dissimulés: Dulce Pinzon et ses super-héros mexicains travaillant à New-York;

dulce pinzon.jpg

Mikhael Subotsky et les dissimulés d'une prison sud-africaine, aux allures d'ancienne maison coloniale exposée à tous les vents et toutes les indifférences sur le rond point de la ville de Beaufort West,

Mikhael Subotzky.jpg

Achinto Bhadra et ses jeunes femmes violentées, violées qui font peau neuve en puisant dans les divinités indiennes ou Bollywood: elles relèvent le défi de rêver encore une fois, malgré tout pour se créer un autre moi.

Achinto Bhadra.jpg

Vos rêves nous dérangent. Qui est ce "vous", qui est ce "nous"? Qui est dérangé par les rêves de l'autre? Seraient-ce tous ces dissimulés de New-York, de Belfort West et du refuge de Sanlaap? Ou alors, est-ce nous, que toutes ces vies réincarnées viennent sortir du rang?

 

samedi, 02 novembre 2013

GENESIS, SEBASTIÃO SALGADO

Genesis.jpg
Cour de La Maison Européenne de la Photographie

Avant nous filions souvent à Paris, le 1er dimanche du mois. Nous faisions deux expositions. Une en début de matinée et une en fin de matinée. Presque toujours de peintures. Mes deux morveux y aiguisaient leur regard, se laissaient questionner, déranger, impressionner. Il est arrivé qu'ils restent insensibles.
Maintenant, nous filons toujours régulièrement sur Paris. Mon morveux, entre temps, a décidé de regarder le monde derrière ses objectifs; nous privilégions les expositions de photographies. Je lui ai proposé GENESIS de SEBASTIÃO SALGADO, une quête du monde des origines des Terres du Nord aux Confins du Sud.
La longueur de la file d'attente devant La Maison Européenne de la Photographie était proportionnelle aux éloges lus dans la presse: les uns ont patienté en pianotant sur leur I-machin, les autres en parlant à haute et trop intelligible voix de leurs derniers achats hight tech. Quand tout ce monde-là a enfin pu entrer, les doigts ont retrouvé leur position horizontale, le long du corps, et les voix se sont tues. Nous avons déambulé d'un monde de glace à un monde de roches puis de sable, tous d'un noir et blanc "saturé" -le terme technique me fait défaut. En passant devant les femmes Mursi, je n'ai pu m'empêcher de caresser ma lèvre inférieure. Mon morveux a essayé d'aiguiser mon regard en soulignant ici le clair obscur d'un territoire navajo, là une composition parfaitement symétrique d'un désert. Simultanément, je parcourais ma bibliothèque intérieure au rayon des mythes du bon sauvage et autre Eden en voie de disparition.

Cette exposition vient questionner notre façon d'être au monde aujourd'hui, d'une frontière à l'autre, et dans la pupille gauche du lion de mer, le reflet étroitement cerclé de Sebastiao Salgado.

expos-les-immanquables-de-la-rentree-a-paris,M119132.jpg
© SEBASTIÃO SALGADO