samedi, 24 mai 2008
LETTRE DES MÈRES
A Pome -qui trouve que je ne me foule vraiment pas en ce moment sur mon blog- et à Wombat
Ce midi à la sortie de l'école, vous avez fait semblant de ne pas voir que leur cartable un peu plus bombé que d'habitude peinait à cacher les rubans et le papier transparent du fleuriste. Ce soir, vous deviendrez sourde, lorsqu'ils s'entraîneront une dernière fois à réciter le poème. Vous savez bien celui qui vous offrira plus de fleurs, merles rieurs et baisers que le monde entier ne pourrait en compter à vous l'unique alors même que la terre compte des milliers de grains de sable, des milliers de coquillages sur la plage, des milliers de fleurs dans les champs, des milliers d'oiseaux dans le ciel. Et je n'ai même pas repris mon souffle pour écrire tout ça!
Cette année au festival malouin Étonnnants voyageurs, Susie Morgenstern a déconcerté son public lors d'un atelier d'écriture. Iconoclaste, elle a fait valser tous les stéréotypes précédents en quelques mots: "Pour la fête des mères, vous écrivez à votre mère et lui dites les colères que vous ressentez envers elle..." J'ai trouvé l'idée génialement gonflée et ai regretté l'absence de mes deux loustics. Ceci dit, il leur reste encore vingt-quatre heures, aux miens et aux vôtres d'ailleurs, pour tremper rageusement la plume ou pianoter sur le clavier.
Si jamais demain vous receviez, malgré tous mes efforts, un collier de nouilles enrubanné dans son papier transparent de fleuriste agrémenté de quelques rimes mal arrimées, vous pourrez toujours aller lire, au milieu des coquillages ou des fleurs des champs l'autobiographie de Susie Morgenstern. Certaines pages sont à la hauteur de cette lettre des mères.
14:04 Publié dans ROMAN | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : fête des mères, susie morgenstern, autobiographie, cofession d'une grosse patate, agenda | Facebook |
lundi, 05 mai 2008
VACHE À TACHES, QU'EST-CE QUE TU RABÂCHES!
Non, ces deux vaches ne se sont pas échappées d’un album du Père Castor, elles n’ont pas non plus la tête ou l’incisive à s’appeler Marguerite ou Pâquerette. Avec leur machoire en forme de pis et leur pis en forme de machoire, elles n'ont pas l'air avenant de leurs cousines à la mode de Bretagne. Je vous ramène ces deux herbivores -à tendance carnivore fortement prononcée depuis qu'elles ne se remplissent la panse que de coquelicOGM- d’une expo consacrée à Combas.
Mais ces panses expansées par tant de bombances, à quoi pensent-elles? À leur opulence ou à leur déchéance si elles rencontraient l'indécence de la potence? Et Combas,lui, qu'en dit-il?
"Deux belles vaches meuh souriaient, deux belles vaches meuh regardaient. On aurait dit qu'elles meuh disaient: "Qu'est-ce que tu veux, toi? t'es pas du pré." Je leur ai laissé le soin de trancher. Mais pas de meuh troncher! De toute façon, y avait pas de danger, le taureau était allé se coucher. Quant à vous, Mesdames, je vous fais des excuses et je meuh recule car je ne veux pas d'histoire avec les gens du coin. Et si je vous gêne tant, dans ce cas, la prochaine fois, je contournerai votre champ. Comme ça, vous ne meuh regarderez pas. Or et ivoire, mes bonnes dames, vous êtes jolies aves vos taches et votre paresse de poétesses en herbe. (.../censure/...)"
Ah, quand des peinturlureurs se lancent dans des stances, la décence me contraint à faire silence sur leurs impudences.
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dimanche, 20 avril 2008
PARTIR
(Photo d'Anita)
Il est des départs qui nous rendent orphelins de toute une partie de l'Histoire de ce monde. Hier ce fut Senghor, aujourd'hui c'est Césaire.
Soleil cou coupé...
Partir.
Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-
panthères, je serais un homme-juif
un homme-cafre
un homme-hindou-de-Calcutta
un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas
l'homme-famine, l'homme-insulte, l'homme-torture
on pouvait à n'importe quel moment le saisir le rouer
de coups, le tuer - parfaitement le tuer - sans avoir
de compte à rendre à personne sans avoir d'excuses à présenter à personne
un homme-juif
un homme-pogrom
un chiot
un mendigot
mais est-ce qu'on tue le Remords, beau comme la
face de stupeur d'une dame anglaise qui trouverait
dans sa soupière un crâne de Hottentot?
Je retrouverais le secret des grandes communications et des grandes combustions. Je dirais orage. Je
dirais fleuve. Je dirais tornade. Je dirais feuille. Je dirais arbre. Je serais mouillé de toutes les pluies,
humecté de toutes les rosées. Je roulerais comme du sang frénétique sur le courant lent de l'oeil des mots
en chevaux fous en enfants frais en caillots en couvre-feu en vestiges de temple en pierres précieuses assez loin pour décourager les mineurs. Qui ne me comprendrait pas ne comprendrait pas davantage le rugissement du tigre.
Et vous fantômes montez bleus de chimie d'une forêt de bêtes traquées de machines tordues d'un jujubier de chairs pourries d'un panier d'huîtres d'yeux d'un lacis de lanières découpées dans le beau sisal d'une peau d'homme j'aurais des mots assez vastes pour vous contenir
et toi terre tendue terre saoule
terre grand sexe levé vers le soleil
terre grand délire de la mentule de Dieu
terre sauvage montée des resserres de la mer avec
dans la bouche une touffe de cécropies
terre dont je ne puis comparer la face houleuse qu'à
la forêt vierge et folle que je souhaiterais pouvoir en
guise de visage montrer aux yeux indéchiffreurs des
hommes
Il me suffirait d'une gorgée de ton lait jiculi pour qu'en toi je découvre toujours à même distance de mirage - mille fois plus natale et dorée d'un soleil que n'entame nul prisme - la terre où tout est libre et fraternel, ma terre.
Partir. Mon coeur bruissait de générosités emphatiques. Partir... j'arriverais lisse et jeune dans ce pays mien et je dirais à ce pays dont le limon entre dans la composition de ma chair : « J'ai longtemps erré et je reviens vers la hideur désertée de vos plaies ».
Je viendrais à ce pays mien et je lui dirais : Embrassez-moi sans crainte... Et si je ne sais que parler, c'est pour vous que je parlerai».
Et je lui dirais encore :
« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir. »
Et venant je me dirais à moi-même :
« Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l'attitude stérile du spectateur, car la vie n'est pas un spectacle, car une mer de douleurs n'est pas un proscenium, car un homme qui crie n'est pas un ours qui danse... »
In Cahier d'un retour au pays natal, Aimé Césaire
16:41 Publié dans BAL(L)ADE | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : aimé césaire, cahier d'un retour au pays natal | Facebook |
mardi, 15 avril 2008
(CENT NOMS)
Photo de Matthieu
Le Rhône ne ronronne pas. Bien trop occupé à charrier troncs et branches qu'il est. Comment pourrait-il aussi aspirer à être un fleuve paisible lorsque ses rives se gaussent de noms de lieux rivalisant avec Les Îles Indigo. Le long de la balustrade -serait-ce un établi?- ils sont tous vissés mais pas indévissables. De quel atlas ont-ils tous dérivé? D'Homère à Artaud, quels imaginaires ont-ils balayé?
Loin
Samaitapa Soie d’eau Utopia Calypso Ouessant
Migravent Nuages d’eau
Des airs Désert Pays de Gaia
Abecca
Chapeaux vides Girafawaland
Thaïs Ptyx Légumophone
Sur quel air les fenouils et navets fredonnent-ils?
Pays des vieux papiers
Les troncs et les branchent venaient-ils de là?
Rien Nutopia
Et sur le même principe, nubuesque nuluberlu
Jardin du géant égoïste
Youchou UFFA Hooloomooloo
Où UFFA se prononce Oufa
Xiros Paflagonie
Petaouchnok Vemish
Oracle de la bouteille
Oog
Ombilic des limbes
Sans nom
Anonyme aussi celui qui a vissé incognito sa plaquette We are all haunted houses. Quels sont donc les esprits qui hantent nos esprits?
18:33 Publié dans BAL(L)ADE | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : rives du rhône, non loin de la rue d'algérie | Facebook |
mardi, 08 avril 2008
CAROTTE, ÉCHALOTTE, HERBE ET NEIGE
Tous les matins, j'ai regardé par la fenêtre ma mère danser avec ses bâtons de pluie: elle levait les jambes puis les bras, telle une indienne indigotière.
Tous les matins je lui disais que cela ne marcherait pas, espérant que les voisins ne la verraient pas. Autrement, la honte, Hannah!
Résultat: hier matin, elle a enfin abandonné bâtons et parapluies. Certes, il ne pleuvait plus... il neigeait! Ma mère déprimait au bord de la fenêtre, le regard perdu. Moi, je l’ai remplacée dans le jardin non pas pour danser mais pour fabriquer un jardinier de neige.
Conclusion : le soleil est de retour aujourd’hui.
09:45 Publié dans CANCANS D'HANNAH | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : jardinier glacé | Facebook |
samedi, 29 mars 2008
BILLET HOMÉOPATHIQUE (2)
Le parapluie vert
Yun Dong-jae, Kim Jae-hong
Texte français de Michèle Moreau
Didier Jeunesse
Des volatiles de mauvais augures prétendent que l'accalmie ne saurait dépasser ce jour. C'est ce que nous allons voir... Ceux-là ignorent que je continue ma danse des bâtons de pluie, ceux-là ne connaissent pas la force de mon nouvel album homéopathique Le parapluie vert, amené par la mousson coréenne. La première fois que je l'ai regardé, j'ai su que je ne possédais pas les mots pour le dire sans l'écorcher, un accroc sera donc là dans la toile.
"Yeong est en route pour l'école. Il pleut très fort ce matin-là. Juste avant d'arriver, Yeong voit un vieux mendiant assis par terre, adossé contre un mur."
Le scénario est simple: Yeong profitera de la récréation pour confier son parapluie au vieil homme qui toujours garde sa face tournée vers le sol. Peut-être dort-il, peut-être tâche-t-il d'ignorer les moqueries des gamins et les insultes de la dame qui vend les crayons et les gommes -ah que ne peut-elle gommer le vieux fou de son mur rien qu'à elle-
La mise en scène est toute en retenue. Au milieu de la grisaille d'un jour de pluie, seules Yeong de jaune vêtue et la vieille boite en fer du mendiant savent encore faire couleur. Et lorsque la petite fille vient déposer le parapluie aux pieds du vieil homme, le point de vue change. Seul le sol qui regorge de flaques d'eau est donné à voir. Dans l'une d'entre elles, un reflet vert et jaune s'approche...
Tout était dit dès la première illustration: sur le rebord d'une fenêtre, un bouquet de fleurs jaunes dans une boîte de conserve cerclée de vert.
18:39 Publié dans ALBUM | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : yun dong-jae, kim jae-hong, parapluie vert, formule incantatoire pour que le soleil ne disparaisse pas | Facebook |
mercredi, 26 mars 2008
BILLET HOMÉOPATHIQUE
Que faire quand rien n'y fait? J'ai d'abord joué l'indifférente. Ne pas en parler, faire comme si je n'avais pas remarqué les volets battus, les carreaux larmoyants. Cela finira bien par cesser. Ne surtout rien dire. Puis j'ai changé de stratégie. Juste quelques mots à ce sujet. Oh trois fois rien. Un haïku, qu'est-ce donc? Mais, non! Rien n'y fait. Il pleut, il pleut, il pleut. Les grenouIlles, de contentement d'être depuis si longtemps à la fête, ont depuis belle lurette explosé. Les boeufs les regardent, la paupière abattue. Tout semble indiquer que si rien n'est fait, nous allons bientôt atteindre les quarante jours fatidiques. Que ce que nous vivions avant méritait bien le nom de période antédiluvienne. Alors j'ai décidé de prendre le problème à bras le corps, pas si simple, me direz-vous, dans le cas d'un fluide qui n'en fait qu'à sa tête.
Je mets donc en place une stratégie homéopathique, le mal par le mal, je vais combattre. Depuis ce matin, à chaque nouvelle averse, entre le poirier en fleurs et le compost, juste au-dessus des jeunes pousses de fèves et de roquette, je tourne et retourne deux bâtons de pluie, un dans chaque main.
A partir d'aujourd'hui, je ne vous parlerai plus que d'albums pluvieux. Le réseau est vaste et les trombes d'eau sècheront avant moi!
"Madame HÔ ne sortait jamais sans son parapluie.
Il lui servait de canne pour soutenir son dos fatigué, l’abritait du soleil, ou la protégeait de la pluie.
Parfois même, depuis la mort de son mari, il était son confident. Mais ça, Madame HÔ n’aimait pas beaucoup qu’on en parle. »
Album qui se décline sur le mode de la pudeur. Si peu est dit, si peu est montré. Tout indique qu'on est bien au Japon mais Madame HÔ se dissimule dans le hors-cadre, seuls apparaissent son bras, son chignon. Une bourrasque emporte le parapluie et le pousse haut dans le ciel. La page se fait légère, légère et devient calque. La pluie tombe soudain, de plus en plus lourde. Madame HÔ, de porte en porte, cherche le confident envolé. Elle le retrouve chez un vieil homme au doux sourire qui lui rappelle quelqu'un. Un thé chaud l'attend. Par un jeu de pages découpées -original origami en deux dimensions- leurs bols se retrouveront côte à côte et cessera la pluie.
11:05 Publié dans ALBUM | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : le parapluie de madame hô, pluie qui n'en fait qu'à sa tête | Facebook |
lundi, 24 mars 2008
PANNE
Photo de la chum Sophie
La pluie souffle sur la voile
La houle s’enroule.
Panne : subst. fém
MAR. Mettre, rester, se tenir en panne; prendre la panne. Équilibrer l'effet du vent dans la voilure en disposant celle-ci de façon à immobiliser le bateau ou à ne le soumettre qu'à l'effet de dérive.
In TLF
15:59 Publié dans IMPROMPTUS LITTERAIRES, MOTS ITINÉRANTS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : impromptus littéraires, tempête, panne | Facebook |
mercredi, 19 mars 2008
LES MYSTÈRES D'HARRIS BURDICK (6)
ECHEC A VENISE
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Même en faisant machine arrière de toute sa puissance, le paquebot avançait de plus en plus dans le canal.
Déjà la basilique s’effondrait sous la poussée du mastodonte, et les façades du Canaletto s’écroulaient les unes après les autres. L’ombre du navire engloutissait maintenant le quartier. Dans une poignée de secondes le pont de l’Académie serait brisé en douceur, presque mollement, juste par l’inertie du bâtiment. Une dentelle de pierre vieille de six siècles, qui avait résisté aux inondations, à l’ensablement et aux millions de touristes.
Quel gâchis… Du haut de la cabine de pilotage, Jacques, les bras ballants, assistait impuissant à l’épilogue grotesque de sa troisième et dernière mission. Cette fois-ci, les administrateurs ne se contenteraient pas d’un sourcil réprobateur. Il n’y aurait pas de débriefing collectif, destiné moins à revenir sur l’origine des erreurs techniques qu’à humilier les fautifs. Pas non plus de dernière chance.
Non. Pas cette fois-ci. On lui avait bien fait comprendre, après le fiasco de la banque Harlen, qu’une telle erreur de jugement ne devait sous aucun prétexte se reproduire. A trois minutes de la sortie des derniers otages, il avait laissé l’un des braqueurs, retranché dans les toilettes du personnel, vider son chargeur sur un couple de pauvres vieux avant d’être abattu. On lui avait alors reproché d’avoir négligé les sorties secondaires dans le plan de l’édifice.
Après trois mois de purgatoire en salle des archives, où il avait redoublé d’efforts pour ingérer tous les protocoles de sauvetage, son administrateur personnel l’avait recontacté. La hiérarchie le convoquait le lendemain matin en salle d’entraînement. Simulation d’opération spéciale en mer. Environnement hostile de type quatre. Revoir tout le chapitre Protection des civils.
Comment le Cristos Onassis, cent-quinze mètres de long et treize mètres de la ligne de flottaison à la quille avait pu s’enfoncer dans la lagune, et ainsi atteindre les premières habitations sans s’ensabler, Jacques ne pouvait l’expliquer. C’est à peine si maintenant le monstre semblait ralentir, freiné par l’amoncellement de palais déserts et d’embarcations heureusement vides.
Pourtant, malgré une nuit sans sommeil passée à réviser, Jacques s’était installé plutôt confiant au matin dans le simulateur. De schéma classique, l’opération consistait à maîtriser une dizaine de mercenaires qui avaient pris le contrôle d’un paquebot en mer Adriatique. Désarmement, protection des otages et remise du vaisseau aux autorités Italiennes. Seulement là encore, dès l’injection qui l’avait projeté virtuellement en salle des machines, Jacques avait senti la situation lui échapper. Neuf preneurs d’otages liquidés en moins de quinze minutes, neuf. Mais où pouvait bien se cacher ce dernier salopard ? Même le détecteur géothermique ne le repérait pas.
Vingt minutes plus tard, alors que Jacques fouillait une à une les cabines du deuxième pont, un homme surgit des chambres froides, traversa les cuisines et atteignit le poste de commande. Ce qu’il eut le temps de trafiquer dans l’ordinateur de bord avant que Jacques ne l’abatte, personne ne le sait. Toujours est-il que le paquebot était devenu incontrôlable.
Bien sûr, personne ne serait blessé. Personne n’habitait ces palazzi numérisés, pas plus que les otages ou les mercenaires n’existaient réellement. Maigre consolation cependant. Car à mesure que le Cristos Onassis plongeait dans une Venise de pixels, c’était la carrière de Jacques au sein du prestigieux Bureaux des Interventions qui sombrait.
07:44 Publié dans ESPACES D'ECRITS | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : harris burdick | Facebook |
lundi, 17 mars 2008
FRAGILE
Aube balbutiante
A tes lèvres incertaines
Le monde se suspend.
05:41 Publié dans IMPROMPTUS LITTERAIRES, MOTS ITINÉRANTS | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : impromptus littéraires | Facebook |
vendredi, 14 mars 2008
LES MYSTÈRES D'HARRIS BURDICK (5)
ECHEC À VENISE
C’était l’été, il faisait beau et très chaud. Un gigantesque paquebot naviguait paisiblement en pleine mer. A son bord, des touristes entassés tentaient de se frayer un chemin jusqu’à la piscine.
Au même moment, à Venise, les rues étaient désertes. Les gondoles vides étaient arrimées le long des quais, le canal semblait inanimé comme si tout le monde restait chez soi pour s’abriter de la chaleur assommante.
Depuis sa cabine, le commandant du paquebot s’exclama :
- Quel temps ! Avec cette mer d’huile nous arriverons rapidement à destination! Et encore plus vite si nous accélérons un peu la cadence !
L’équipier n’eut pas le temps de répliquer, le paquebot se mit à accélérer de plus en plus, poussé par une force gigantesque ! Soudain l’équipier s’écria stupéfait:
- Commandant ! regardez, droit devant !
Il était trop tard. Même en faisant machine arrière de toute sa puissance le paquebot s’avançait de plus en plus dans le canal. Le pire allait arriver !
Tout se passa très vite. Le ciel s’assombrit d’un coup et le paquebot vint s’encastrer violemment dans le canal détruisant tout sur son passage.
Le commandant eut tout juste le temps d’hurler :
- Oh non ! catastrophe !
C’est alors qu’un cri retentit :
- Ah ! Arthur, mais qu’as-tu fait ? La maquette pour mon stage d’arts plastiques, tu as tout détruit! C’est la chaleur qui te rend fou ? Tu n’as rien d’autre à faire de tes vacances ?
Arthur bredouilla timidement :
- Mais Marie, excuse moi, je…je ne voulais pas, j’étais le commandant et je faisais une croisière et…
- Je ne veux pas le savoir, je vais le dire aux parents, tu vas voir ! pesta sa sœur.
C’était l’été, il faisait beau et très chaud. Marie partit en claquant violemment la porte.
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mercredi, 12 mars 2008
LES MYSTÈRES D'HARRIS BURDICK (4)
LA BIBLIOTHEQUE DE M. LINDEN
Il l’avait prévenue pour le livre. Maintenant c’était trop tard.
Le livre prenait vie et elle entrait dans un sommeil de... Mr Linden, pourtant maître et garant de ce secret protégé depuis des siècles, n’avait rien pu faire. Etait-il réellement responsable de ce qui arrivait à cette effrontée, têtue et tyrannique ? Non ! Mr Linden lui avait dit : « Ne touche pas à ce livre ». Il avait tout essayé, feignant le désintérêt « Ah !Celui là ! Je me suis endormi tant de fois dessus qu’il a fini par me tomber des mains ! » .
Puis l’autorité : « Si j’ai mis ce livre en hauteur, jeune fille, c’est qu’il n’est pas de votre âge de consulter tel ouvrage ! » ; puis la douceur « S’il te plaît, ne touche pas à ce livre puisque ça me contrarie. Tu m’aimes bien n’est-ce pas ? Tu ne veux pas me faire de peine ? » .
Alice c’est vrai, éprouvait une tendresse certaine pour ce bibliothécaire un peu vieux jeu. Seulement voilà, elle n’avait pas seulement envie de lire ce livre, elle en rêvait ! Il la poursuivait dans ses pensées, si loin que même la sensualité du contact avec le vélin ne lui avait pas échappé. La couverture de cuir usée, elle rêvait de la caresser, d’en user la pulpe de ses doigts.
Aussi elle inventa maintes subterfuges pour duper le pauvre M. Linden qui sentait bien qu’en vieillissant, il ne pourrait pas toujours garder cette enfant, cette jeune personne à présent, du terrible danger qu’était sa curiosité.
Personne jusqu’à aujourd’hui n’avait jamais percé le secret, mais M. Linden n’était pas seulement vieux jeu et vieillissant. Il gardait, tel un templier dans cette bibliothèque, quelques ouvrages laissés par ses frères. Des œuvres magistrales et dangereuses qui enfermaient en leur sein des sorcelleries diverses et variées. Le vieil homme aurait voulu dénicher un disciple comme jadis son maître l’avait trouvé. Mais les jeunes gens aujourd’hui dédaignent les livres et leurs secrets. Quand Alice s’était présentée la première fois, M. Linden avait ressenti des qualités particulières qui réveillait subitement en lui un espoir éteint. La sotte, dans son empressement de tout connaître, de tout savoir, passa outre un soir les recommandations de son maître et s’échappa, empruntant dans sa fuite le livre tant désiré. Elle disparaîtrait très certainement digérée comme les autres par la trame de l’histoire. Ses parents retrouveraient au matin sa lampe de chevet allumée, le lit à peine défait…
M. Linden était prêt, il recouvrit ses épaules d’un pardessus noir, il avait l’habitude maintenant. Tant de fois déjà, il avait du se glisser sans bruit dans des maisons qu’il ne connaissait pas. Tant de fois il avait dû refermer le livre repu sur de jeunes sots. Il fallait récupérer le livre et le dompter à nouveau, le ramener au cœur de la bibliothèque, le cacher, mais pas trop. Le nourrir signifiait renouveler la quête d’un jeune disciple impatient et malléable.
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lundi, 10 mars 2008
LES MYSTÈRES D'HARRIS BURDICK (3)
CAPITAINE TORY
Il balança sa lanterne trois fois et la goélette apparut lentement.
Bien avant cela, au rythme des oscillations, le capitaine Tory, vieux loup des mers, avait fait surgir dans la plaine une ville portuaire. Probable souvenir des ses lointaines escapades, elle ressemblait à s’y méprendre à Sausey. Il y avait fait escale en 1968. Depuis, des années étaient passées, voila plus de vingt ans qu’il n’avait pas navigué. Il vivait paisiblement au fin fond de l’Écosse, paisiblement jusqu’au jour où…
C’était un mardi de décembre, il arpentait les rues, flânant dans les brocantes quand soudain son regard fut attiré par un objet : une lanterne, vieille, usée par le temps, rouillée par l’eau salée. Elle n’avait rien pour plaire et pourtant ses yeux ne pouvaient s’en détacher. Il la saisit.
- Combien ?, dit-il d’un ton monocorde
- 5 sterling, répondit le vendeur
Il fouina dans sa besace, en sortit les pièces, qu’il tendit au vendeur.
De retour chez lui, il posa la lanterne sur le buffet face à la porte. Assis dans son fauteuil, le regard perdu, les souvenirs surgirent : les longues soirées d’hiver où il avait conté à son fils puis à son petit-fils les légendes qui entouraient la lanterne que lui-même n’avait jamais vue, les lointains voyages et ces marins rencontrés d’escale en escale.
Oscar, le marin de l’Oliban avait été le premier à lui parler de la mystérieuse lanterne, mais c’était Marius, un vieux marin qui fumait sa pipe toujours assis, au pied du phare, le regard perdu au loin dans l’immensité de la mer, qui l’avait mis en garde : la lanterne pouvait être aussi source de malheur ne cessait-il de dire.
La nuit était tombée depuis peu, le feu crépitait dans l’âtre, le chat ronronnait enroulé dans le vieux caban du capitaine, la soupe fumait, la porte s’ouvrit brusquement laissant apparaître un visage rougi par la rudesse de l’hiver. C’était Mattew.. Le visage du capitaine s’éclaira. Mattew reconnut la lanterne, objet qui revenait si souvent dans les histoires que contait Granpa.
Ils savaient ce qu’ils allaient faire. Le froid de la nuit, l’absence des étoiles, l’heure déjà avancée, rien ne les arrêterait.
Dans le pré, derrière la maison, le capitaine commença à balancer la lanterne, le port apparut, les lumières des maisons se mirent à briller, à la troisième oscillation la goélette se dévoila . Il se souvint alors des paroles prononcées par le vieux Marius. Il saisit précipitamment l’avant bras de Mattew, ne surtout pas franchir la balustrade.
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mardi, 04 mars 2008
LES MYSTÈRES D'HARRIS BURDICK (2)
AUTRE LIEU, AUTRE TEMPS
Qu’allait-il décider? Il ne savait pas encore, se sentait prêt à tout. Hier déjà, il avait expérimenté tant de pistes : tantôt, il avait placé Monsieur et Madame sur un mauvais paquebot, fuyant à la hâte un pays déchiré. Madame n’avait pas eu le temps d’enlever son tablier, la tarte était restée sur la table. Finalement, à la place du paquebot, un vieux rafiot à la voile incertaine l’avait séduit quelques minutes plus tard Sur la tête de Monsieur, allez savoir pourquoi, il s’était amusé à visser un melon passé de mode. Tout d’abord jeune couple, ces deux-là s’étaient vus allouer deux mômes, pas du genre chérubins. Du coup, la taille de Madame s’était alourdie. Comme le rafiot n’en menait pas large avec tout ce monde, il l’avait remplacé par un chariot à roulettes pouvant mener grand train sur des rails. Les exilés de l’Est étaient alors devenus des ladres du Far West.
Aujourd’hui, dans ce tohu-bohu, il le savait, il devrait trancher. Ce n’était plus l’heure des jérémiades. Par désespoir, il infligea un béret au benjamin. Au point où il en était.
Il se servit un verre de cidre âpre, puis ouvrit la fenêtre. Tout cela sans quitter sa table. Son pacte l’en empêchait. Les nuages noirs au loin, prêts à se répandre au premier signal n’étaient pas de bon augure. Inutile d’y chercher des séraphins en gambade. Les pages du roman en cours sursautèrent au passage du courant d’air iodé.
Ah s’il osait, il enverrait bien tout son petit monde, là-bas pour voir. De l’autre côté. Tiens, il y placerait même un château incongru et insolite, perdu dans la brume comme il se doit, Eden inaccessible. Le Benjamin serait même le premier à l’apercevoir. Il s’empresserait de chercher l’emplacement et le nom du monument dans ses cartes, qui jamais ne quittaient son cartable. Encore faudrait-il qu’il lui en laissât le temps.
A la hâte, il imagina donc un chariot-rafiot , y plaça son encombrant quatuor, songea même à coincer la jupe de Madame dans les roues, mais non changea d’avis et fit se lever un bon vent, enfin les poussa droit devant. Il ressentait une certaine jubilation et sa plume sur la feuille en perdait même son alphabet. Pris d’un désir irrépressible de zizanie, il recouvrit soudain le désert du grand Ouest d’un Océan qui n’allait pas tarder à se déchaîner. Au loin les rails s’y perdaient déjà…
Demain les batteurs de grève trouveraient leur bonheur : quatre macchabées dont la Géhenne n’aurait pas voulu. Quant à lui, il s’assiérait à nouveau à sa table.
La tenancière de ces lieux
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lundi, 03 mars 2008
LES MYSTÈRES D'HARRIS BURDICK (1)
L'oiseau lire sait filer l'envie de lire, prévoir cependant une bonne heure de libre. L'espace est petit mais les recoins nombreux où se poser pour commencer sans vergogne la lecture d'un roman qui se trouvait justement là sur le passage.
Le volatile a aussi décidé de s'arracher les plumes pour filer le virus de l'écriture. Point de départ de l'expérience, l'album de Chris Van Allsburg Les mystères d'Harris Burdick, suite de planches en noir et blanc accompagnées chacune d'un TITRE et d'une phrase pour le moins sybilline. L'auteur dit les avoir vues pour la première fois chez M. Wenders ancien éditeur de livres pour enfants. Burdick les lui confia un jour, il avait écrit une histoire pour chacune d'entre elles. Aussi promit-il de les ramener le lendemain. L'individu ne revint pas. Qu'à cela ne tienne, Chris Van Allsburg engage son lecteur à les inventer.
Avec quelques étudiants, nous avons donc tenté d'emplumer ces illustrations réalisées au crayon.
A suivre...
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lundi, 25 février 2008
CANDIDE LETTRE
Voilà, cette année, j'ai osé..
L'indigotière
27/04/69
Mère d’Hannah et Ephraïm
Professeur de lettres, parfois de mots et souvent de littérature jeunesse
Ca a débuté comme ça : le 29 janvier 2008, j’étais sous la chaleur de la couette, immergée dans Une histoire de la lecture, quelque part dans un entre-deux. Je venais de découvrir que la lecture silencieuse n’avait pas existé de tous temps. L’air froid s’engouffrait par la porte-fenêtre et Esprit critique par la radio en sourdine. Mes cours ne commençaient qu’en fin de matinée. J’attendais que soit annoncé le nom du président du jury du prix Inter : promis après je me lèverais et j’irais rejoindre mes étudiants. Avant j’enverrais juste un mail aux copines, intitulé « Inter, c’est lancé ! »
Faut dire que pour la huitième année consécutive, nous nous réunirions avec les copines lorsque le printemps reviendrait. Tout le reste de l’année, nous partagions nos lectures, mais là nous relèverions à nouveau le défi : dix romans en huit semaines. L’excitation irait tambour battant, un jour de fête est souvent bruyant. Avant j’aurais bien sûr fait la razzia des presque dix titres à la médiathèque. Il en manquait toujours un ou deux mais la bibliothécaire, comme prise en faute, s’engageait à les acheter au plus vite. Et comme chaque année, nous improviserions un jury, 24h avant le verdict de l’Officiel, nous attribuerions notre prix France Inter.
Dans le groupe, il y en a toujours une ou deux qui rédigent une lettre de candidature, pour tenter leur chance. Moi j’ai bien failli, lorsque ce fut Nancy Huston ou Jean Echenoz, et puis le manque de temps ou le défaitisme…
Cela ne m’empêchait pas d’imaginer ce que j’aurais pu y dire. Sans doute aurais-je décliné le verbe lire dans une impossible tentative de le circonscrire. Sans doute aurais-je aimé prononcer pour le plaisir d’entrechoquer entre eux les auteurs et oeuvres de mon cortège littéraire. Peut-être aurais-je entremêlé les deux et ça aurait donné quelque chose comme ça:
Lire, c’est laisser ses seules mains comme présence et accepter la bonne aventure qui se dessine sur les lignes,
L’Atlas des géographes d’Orbae et Les derniers Géants de F. Place
Lire c’est s’entourer de silence pour entrer en dialogue avec le texte,
Quel livre résisterait le mieux au fracas d’un voyage en TGV ? Lorsque le paysage est projeté incessamment sur la vitre, les lignes doivent être capables de filer, entêtées.
Lire aux éclats
Le monde selon Garp d’Irving et Eblouissement d’Egloff
Lire c’est presser le monde à ses racines
Le chant VIII de l’Odyssée, les Métamorphoses d’Ovide, la Genèse
Lire c’est remuer le verbe dans toutes ses strates
Le Dictionnaire étymologique d’Alain Rey
Lire c’est retourner en soi des terres en friche
La bibliothèque du salon et de la chambre en disent bien plus long sur moi que la planche réservée aux albums photos,
Lire en glouton avide
Vallejo et toute son œuvre engloutie sans aucune retenue après Ouest
Lire c’est être en dehors du monde et lui faire corps
Les voleurs de feu Bon, Michon, Bergounioux
L’acuité d’un regard porté sur le réel, Bashô et Proust
Lire c’est avoir toujours un livre dans son sac , roue de secours, au cas où
Lire, c’est devenir un espace tremblé, é-mot-ique
Terraqué de Guillevic
Lire c’est griffonner dans la marge, à quoi servirait autrement cet espace laissé blanc ?
Le vice-consul et Lol V Stein de Duras
Lire c’est inventer la part manquante du texte,
Michaux, Queneau et Perec, oui surtout Perec
Lire à haute voix c’est se donner un peu plus au texte
Lire c’est entrer en résistance au monde et décider d’en faire partie autrement
Un homme sans manteau de Jean-Pierre Siméon
Ca aurait sans doute donné quelque chose comme ça. Qu’on n’en parle plus !
Un rayon de soleil tient tête à l’air froid et la radio est tout sourire :
- Mais d’abord qui va présider le jury ? Vous êtes un homme, un écrivain, vous êtes … ?
- Alberto Manguel !!!!!!!!!!!!!!!
Ah, si seulement j’osais…
ndlr: Les points d'exclamation ne sont pas du fait d'Aberto Manguel mais de ma stupéfaction à ce moment-là, bien sûr.
11:14 Publié dans ESPACES D'ECRITS | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : lire, prix inter, perec, alberto manguel | Facebook |
dimanche, 17 février 2008
ATHANOR
Tant de tresses au vent
Eparpillent la graine avide
D’une tendresse vaine
15:58 Publié dans BAL(L)ADE | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook |
mercredi, 13 février 2008
VOULOIR VIVRE
Il faudra bien que le destin réponde,
Il faudra bien que s'ouvre la nuit,
Il faudra bien que cèdent les chaînes.
Celui que le désir de vivre n'a pas étreint à bras le corps,
S'évapore et disparaît au grand ciel de la vie.
Ainsi m'ont dit les êtres, tous les êtres.
Ainsi m'a parlé leur esprit caché.
Au sommet d'une montagne, au plus secret des arbres,
Dans la mer déchaînée, écoute murmurer le vent :
Que je me tourne vers un lieu du monde,
Et je m'habille d'espoir, et me dépouille de prudence.
Je ne crains la rigueur des sentiers,
Ni le feu le plus altier.
Refuser la montagne haute,
N'est-ce point vivre, à jamais, au fossé ?
08:15 Publié dans BAL(L)ADE | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : aboulkâssem al-chabbî | Facebook |
lundi, 11 février 2008
CANCANS D'HANNAH
Nouvel espace dans les Iles Indigo, réservé aux cancans d'Hannah, ma fille
Besace du vendredi
Dans mon cartable, il y a de quoi passer une bonne journée : du genre, un bon petit livre de 500 pages, un petit carnet pour écrire toute idée qui me passe sous la tête, puis et enfin, la trousse que tu remplis à la rentrée avec plaisir. Après, il y a bien sûr tout ce qui gâche la journée du genre livres de SVT, de physique , de français, de math, de géo et enfin de techno. .
10:00 Publié dans CANCANS D'HANNAH | Lien permanent | Commentaires (4) | Facebook |
jeudi, 24 janvier 2008
LA FILLE DES BATAILLES
Le vent m’a soufflé des rumeurs à son sujet. On la dit muette, abandonnée « par une de ces épouvantables tempêtes que l’automne envoie pour annoncer l’hiver ». J’ai coupé court aux bruits, ne pas en savoir plus.
Repousser le moment de sa lecture de quelques heures encore, regarder Andréi Roublev de Tarkovski. Y rencontrer une fille muette, éphémère reine tatare, un vieux fou de dessin et son vœu de silence et un tout jeune fondeur de cloche peut-être muette elle-aussi.
Puis tourner la première page, se laisser saisir, déserter le maintenant pour le siècle du roi Soleil et l’ici pour là-bas. Mais, en matière de repères spatiaux , texte et images malmènent le lecteur, lui demandent de lâcher prise: de Vaudaran dans le Midi –et ce nom-là, l’unique nom propre de l’album, sonne trop vrai pour l’être- jusqu’au Nord, l’errance repassera toujours par l’auberge Le soleil d’or, « en un grand déménagement immobile».
Le soleil d’or, c’est là que la fille muette rejetée par la mer a trouvé tendresse et identité. Garance, c’est ainsi que se nommera la Sarrasine à la peau sombre, un nom aussi rouge que son turban. Cette couleur sera un des fils de l’album : rouge l’écharpe du Seigneur qui a jeté un dévolu obsessionnel sur elle, rouge le tambour de son fiancé Bastien, rouge sa tenue de bagnard.
Mais ce qui frappe le plus à la lecture de La fille des batailles, c’est le silence. De page en page, de tableau en tableau, des fragments de vie entrecoupés d’ellipses - la rencontre de Bastien et Garance, le lien indéfectible qui les unira au-delà de la guerre et du bagne, la perpétuelle menace du Seigneur- se déroulent. De page en page, tous les personnages sont privés de parole, pour la simple et bonne raison que le narrateur se garde bien de la leur confier. À trois reprises, le texte disparaît pour laisser place à trois illustrations en double-page : se dessinent alors les batailles de Bastien, la guerre, l'arrestation mouvementée, l'embuscade de la délivrance, en un grand tohu-bohu silencieux. Au cœur de ces morceaux de silences, les seuls bruits du texte que j’ai entendus sont les battements des cœurs du jeune tambour et de Garance.
En somme, qui est-elle, la fille des batailles ? Séraphine, qui a été conçue au beau milieu des batailles, ou sa mère qui sa vie durant a mené des batailles pour rejoindre Bastien ? Qu’importe du moment que l’album se ferme enfin sur un naufrage en carton pâte et que Séraphine, grimpée sur les planches, puisse porter la parole des sans-voix.
11:00 Publié dans ALBUM | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : françois place, la fille des batailles, montreuil, garance | Facebook |
mardi, 22 janvier 2008
FACES
La lune est pleine
De creux de vides
De l'autre côté
En douce
Elle bombe le torse.
20:57 Publié dans BAL(L)ADE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lune | Facebook |
lundi, 21 janvier 2008
THANK YOU SATAN, LÉO FERRÉ
Au creux d'un lit pauvre ou rupin
Pour le plaisir qui s'y consume
Dans la toile ou dans le satin
Pour les enfants que tu ranimes
Au fond des dortoirs chérubins
Pour leurs pétales anonymes
Comme la rose du matin
Thank you Satan
Pour le voleur que tu recouvres
De ton chandail tendre et rouquin
Pour les portes que tu lui ouvres
Sur la tanière des rupins
Pour le condamné que tu veilles
A l'Abbaye du monte en l'air
Pour le rhum que tu lui conseilles
Et le mégot que tu lui sers
Thank you Satan
Pour les étoiles que tu sèmes
Dans le remords des assassins
Et pour ce coeur qui bat quand même
Dans la poitrine des putains
Pour les idées que tu maquilles
Dans la tête des citoyens
Pour la prise de la Bastille
Même si ça ne sert à rien
Thank you Satan
Pour le prêtre qui s'exaspère
A retrouver le doux agneau
Pour le pinard élémentaire
Qu'il prend pour du Château Margaux
Pour l'anarchiste à qui tu donnes
Les deux couleurs de ton pays
Le rouge pour naître à Barcelone
Le noir pour mourir à Paris
Thank you Satan
Pour la sépulture anonyme
Que tu fis à Monsieur Mozart
Sans croix ni rien sauf pour la frime
Un chien, croque-mort du hasard
Pour les poètes que tu glisses
Au chevet des adolescents
Quand poussent dans l'ombre complice
Des fleurs du mal de dix-sept ans
Thank you Satan
Pour le péché que tu fais naître
Au sein des plus raides vertus
Et pour l'ennui qui va paraître
Au coin des lits où tu n'es plus
Pour les ballots que tu fais paître
Dans le pré comme des moutons
Pour ton honneur à ne paraître
Jamais à la télévision
Thank you Satan
Pour tout cela et plus encore
Pour la solitude des rois
Le rire des têtes de morts
Le moyen de tourner la loi
Et qu'on ne me fasse point taire
Et que je chante pour ton bien
Dans ce monde où les muselières
Ne sont plus faites pour les chiens...
Thank you Satan!
12:20 Publié dans BAL(L)ADE | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : ferré | Facebook |
mardi, 15 janvier 2008
APPRIVOISER LA POÉSIE
Lorsque la patronne de l’Oiseau Lire m’a proposé d’écrire un article intitulé « enseigner la poésie » pour Citrouille, le journal des librairies jeunesse, j’ai souri. Comment parlerai-je de quelque chose que je ne pratique pas ? Je ne sais pas enseigner les voies et les boulevards pour entrer avec certitude dans l’improbable sens unique d’un poème. Et pourtant j’ai accepté de dire ce que je vivais au jour le jour avec mes étudiants, futurs professeurs des écoles. C’est sans doute que je pressentais que je pourrais gratter le mot enseigner, y découvrir un premier sens oublié.
Enseigner, il y a quelques douze siècles, signifiait « faire connaître par un signe ». Alors, oui, dans ce cas-là, j’enseigne la poésie.
Ne se laissent pas faire
Comme des catafalques
Et toute langue
Est étrangère.
La langue lorsqu’elle se fait poème déroute, apeure. Elle n’est plus logique et fonctionnelle. Elle s’ouvre aux failles et tremblements. Aussi, j’aime ouvrir chacun de mes cours par la lecture d’un poème et laisser ces secousses sismiques rendre incertaine notre langue maternelle. Certes, au début de l’année, surgit l’invariable question :
- Qu’est-ce que cela veut dire ?
Dans Algues, Sable, coquillages et crevettes (Cheyne), Jean-Pierre Siméon s’interroge lui aussi :
« Qu’en est-il donc du sens du poème ?
Il n’existe décidément que dans l’échauffement de trois volontés : celle du poète, celle du poème, celle du lecteur. Celle du lecteur étant, in fine, souveraine et décisive puisqu’elle est tout bonnement la dernière à s’exercer dans la chaîne de la création.
Terrible responsabilité du coup, n’est-ce pas ?
Et voilà de nouveau un impédiment à la lecture du poème. Le lecteur ayant admis qu’il était maître du jeu –du sens- a peur. Peur de se tromper, d’être à côté, d’être contre. Peur de l’insuffisance, du faux-sens, du contresens. Il peut y avoir insuffisance de lecture, soit, de faux-sens et de contresens, jamais. »
- Alors, qu’est-ce que cela veut dire ?
Cela ne veut rien dire. Cela dit. Accepter que le sens ne soit plus premier et unique, accepter de se laisser porter par des rencontres sonores, des images qui ne sont plus le fidèle reflet du réel raisonnable. Chercher dans l’obscur la présence de la clarté.
Et au milieu de cette quête, n’être qu’un simple sémaphore. Je provoque des faces contre faces et attends.
Un peu avant midi.
Placez tout à côté
Un tilleul déjà grand
Remué par le vent.
Mettez au-dessus d'eux
Un ciel bleu, lavé
Par des nuages blancs.
Laissez-les faire.
Regardez-les.
Le vent n’a pas le temps d’arrêter de souffler que déjà un étudiant arrive, l’œil lumineux, un recueil tout contre lui. Sait-il seulement celui-là, qu’en lisant le poème, il dit aux autres que le langage poétique n’est pas réservé à un cénacle littéraire ? Il dit qu’il a enfin accepté de conquérir les mots et d’être conquis par eux. De lectures en ateliers d’écriture, d’autres l’ont suivi depuis. Il en est toujours pour les regarder, étonnés. Pour eux, des pas sont encore à franchir, ils les franchiront. Je n’ai pas peur, il y a tant de poèmes encore à se lire...
10:39 Publié dans BAL(L)ADE | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : ours gris, oiseau lire, citrouille, guillevic, siméon, algues sable coquillages et crevettes | Facebook |
jeudi, 10 janvier 2008
BANCAL ALBAN (3)
Des albums d'une main, des recueils de l'autre,
Il ne reste plus qu'à
Poser sur les marches
Les brouhaha et tohu-bohu
Du dehors, du dedans,
Il ne reste plus qu'à
Arcbouter le corps, pousser
Et entrer
Enfin.
Mais aussi tôt
La halte obligée dans le hall
B'jour mamzelle la Pythie
Toujours cet air hagard
Comme sur le départ
Se joue une partie d'échec
Lumière contre obscurité mate
Et sur les panneaux
Le pataquès des mots
Tente de se déjouer
Des effluves chimiques si propres sur elles
Poèmes sonnés contre Ajax et autres confrères
Emplie des plis épiques de cette arène
Je garde lointaine
Quelques minutes encore
La traversée du couloir
Qui mènera au banc blanc
Dehors
Lui, le banc, il garde, garde,
Regarde aussi la ville silencieuse et pétrifiée.
09:03 Publié dans ESPACES D'ECRITS | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
mardi, 08 janvier 2008
BANCAL ALBAN (2)
SOUVENIRS OUBLIÉS
Une alternative s'offrait à moi pour fuir. Soit prendre ce long couloir qui menait dans ce pitoyable hall.
Pitoyable hall et pourtant tant de choses s'y passaient. L'autre jour, une charmante dame vêtue de son par-dessus bleu était nonchalamment assise sur le banc rouge, son souffle semblait suspendu, son corps immobile laissait pourtant transparaître son trouble. Les pages tournaient une à une. Le bruissement des passants, l'abeille qui bourdonnait au dessus d'elle, rien ne semblait pouvoir l'interrompre, il en fut ainsi jusqu'à la dernière ligne du livre. Je sus, bien plus tard, par l'homme au chapeau vert, qu'elle lisait L'Elégance du hérisson de Muriel Barbery et je compris alors ce qui l'avait tant captivée. Ce hall était aussi lieu de rencontres pour tout ce beau monde, et fuir par là n'était-ce pas trop risqué ?
Je pouvais aussi emprunter le jardin, dédale d'allées bordées d'arbustes fleuris où chaque fleur embaumait de son parfum. J'aimais m'y perdre les jours de soleil où les papillons voltigeaient au gré des fleurs, où les abeilles butinaient à la recherche du précieux nectar.Les soirs d'été alors que la brise venant de la vallée rafraîchissait la chaleur étouffante de la journée, on entendait les grillons. Et ce banc de pierre, il avait vu tant de pantalons, jupes venir s'y reposer. Ces amoureux se bécotant, cette vieille dame qui inlassablement tricotait, ces enfants qui riaient en courant autour de leur maman. Les souvenirs sont là, chaque petit espace, chaque odeur, chaque histoire fait surgir en moi, des émotions, des sensations, stigmates de l'enfance. Certains, poétiques me transportent, d'autres, plus douloureux me bouleversent. Faut-il pour autant fuir, ou faut-il affronter ?
MOUCHERON
LE PIPO ET LE VIOLON
Il était une fois un bonhomme de neige qui jouait du pipo(1) et du violon assis sur un banc.
Un jour, le soleil brilla très fort dans le ciel et le bonhomme de neige se mit à fondre : il se transforma alors en un humain mais il jouait toujours du pipo et du violon.
Plus tard il arrêta le pipo pour ne plus jouer que du violon, il se mit aussi à jouer du violoncelle.
Trois mois plus tard, il était devenu un artiste, on le surnommait Vivaldi.
Il faisait des concerts et voyageait de ville en ville.
Un jour, alors qu'il était déjà vieux, il donna un concert sur le banc rouge d'une grande entrée quand brusquement il fit tomber son archer par terre qui se transforma en bonhomme de neige. Qui sait ce qu'il allait devenir !
FANNY
(1): le pipo est un instrument tout en rondeur que seuls les bonhommes au souffle de glace peuvent jouer. A ne pas confondre avec son homonyme pipeau (ndlr)
10:15 Publié dans ESPACES D'ECRITS | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
samedi, 05 janvier 2008
JE VEUX TU VEUX
Dimanche de janvier à la guibre réinventée
On vous les souhaite depuis six jours, la santé, le succès et surtout, surtout le bonheur. Votre horoscope vous les a sans nul doute confirmés: tout cela se réalisera en cette nouvelle année.
Et je songe aux Romains qui, bien que fins lecteurs d'astres, comètes chevelues et entrailles de volatiles avaient placé à l'entrée de l'année Janus, bicéphale notoire, une face tournée vers le passé, l'autre vers l'inconnu.
Et je veux juste, sans oublier hier, vous tendre ces vers du Grand Jacques...
Et l'envie furieuse d'en réaliser quelques-uns.
Je vous souhaite d'aimer ce qu'il faut aimer
et d'oublier ce qu'il faut oublier.
Je vous souhaite des passions.
Je vous souhaite des silences.
Je vous souhaite des chants d'oiseaux au réveil
et des rires d'enfants.
Je vous souhaite de résister à l'enlisement, à l'indifférence,
aux vertus négatives qui nous observent.
Je vous souhaite alors d'être vous !
08:25 Publié dans BAL(L)ADE | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : 1er janvier | Facebook |
jeudi, 27 décembre 2007
BANCAL ALBAN
Depuis sept jours, il a l'air de tenir bon le jour: la pente il la remonte, les minutes il les grapille. Aussi en guise de saturnales, je vous propose ces deux photos solaires et urbaines et un nouvel espace d'écrits. Vous réunirez ce banc et ce hall comme bon vous semblera, en une version hall-banc ou banc-hall, en prose ou en vers, en deux lignes ou une page... La seule contrainte est celle-ci:
les textes sont à envoyer à beaadded@gmail.com avant le vendredi 4 janvier, à 04h44, le cachet de la toile faisant foi.
Que Saturne turbine à vos côtés!
18:00 Publié dans ESPACES D'ECRITS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : saturne | Facebook |
dimanche, 23 décembre 2007
SOUFFLES
Dimanche de cendres ambrées et d’ambroisie
Déjà deux jours que la lumière et la nuit se sont rencontrées en une lutte épique et inévitable
Déjà deux jours que la lumière a repris le dessus inexorablement
Déjà deux jours que le solstice d’hiver a expiré son dernier souffle…
Les Choses que les Etres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau.
Ecoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots :
C’est le Souffle des ancêtres.
Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :
Ils sont dans l’Ombre qui s’éclaire
Et dans l’ombre qui s’épaissit.
Les Morts ne sont pas sous la Terre :
Ils sont dans l’Arbre qui frémit,
Ils sont dans le Bois qui gémit,
Ils sont dans l’Eau qui coule,
Ils sont dans l’Eau qui dort,
Ils sont dans la Case, ils sont dans la Foule :
Les Morts ne sont pas morts.
Ecoute plus souvent
Les Choses que les Etres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau.
Ecoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots :
C’est le Souffle des Ancêtres morts,
Qui ne sont pas partis
Qui ne sont pas sous la Terre
Qui ne sont pas morts.
Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :
Ils sont dans le Sein de la Femme,
Ils sont dans l’Enfant qui vagit
Et dans le Tison qui s’enflamme.
Les Morts ne sont pas sous la Terre :
Ils sont dans le Feu qui s’éteint,
Ils sont dans les Herbes qui pleurent,
Ils sont dans le Rocher qui geint,
Ils sont dans la Forêt, ils sont dans la Demeure,
Les Morts ne sont pas morts.
Ecoute plus souvent
Les Choses que les Etres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau.
Ecoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots,
C’est le Souffle des Ancêtres.
Il redit chaque jour le Pacte,
Le grand Pacte qui lie,
Qui lie à la Loi notre Sort,
Aux Actes des Souffles plus forts
Le Sort de nos Morts qui ne sont pas morts,
Le lourd Pacte qui nous lie à la Vie.
La lourde Loi qui nous lie aux Actes
Des Souffles qui se meurent
Dans le lit et sur les rives du Fleuve,
Des Souffles qui se meuvent
Dans le Rocher qui geint et dans l’Herbe qui pleure.
Des Souffles qui demeurent
Dans l’Ombre qui s’éclaire et s’épaissit,
Dans l’Arbre qui frémit, dans le Bois qui gémit
Et dans l’Eau qui coule et dans l’Eau qui dort,
Des Souffles plus forts qui ont pris
Le Souffle des Morts qui ne sont pas morts,
Des Morts qui ne sont pas partis,
Des Morts qui ne sont plus sous la Terre.
Ecoute plus souvent
Les Choses que les Etres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau.
Ecoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots,
C’est le Souffle des Ancêtres.
16:15 Publié dans BAL(L)ADE | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : solstice, diop | Facebook |
samedi, 15 décembre 2007
JOJO, MULTI-RÉCIDIVISTE!
Cet après-midi encore, haut perchée sur ses talons, paradant sans fin en des robes impudentes, avec ce quelque chose de fatal et brisé qu'ont les femmes dans les films de Cassavets, elle débouchait sur scène. Cantatrice ratée, lorsqu'elle a chanté "I'm so pretty, so charming" j'ai entendu "so chaplin": c'est dire le burlesque du personnage ou avouer mon niveau d'anglais...
Cet après-midi encore, elle était mère de Jojo, autant dire distributeur automatique de gifles bonnes et carabinées, de claques beignes et torgnoles, dans Jojo, le récidiviste.
Quand, le soir, Delphine Lamand est apparue dans l'amphi, elle aurait pu se fondre parmi mes étudiants: pour nous parler de son travail d'actrice et d'assistante du metteur en scène, elle a juste pris avec elle ses couettes échevelées et ses gestes effrontément enthousiastes.
Jojo le récidiviste, ce fut d'abord la rencontre de deux Jo: Joseph Danan, l'écrivain et Joël Jouanneau, le metteur en scène. Pas le même passé de gifles entre ces deux-là.
" Moi à la différence de Jojo, j'étais un enfant sage, trop sage peut-être. (Aïe, je sens les parents qui remuent.) Et ma mère, je le jure, ne m'a jamais donné la plus petite gifle (mon père non plus, d'ailleurs). J'ai une hypothèse: c'est que les bêtises je ne les faisais pas, parce que la gifle, je me la donnais moi-même avant de les faire" Joseph Danan
« Enfant, je me demandais si c’était ma joue gauche qui désirait recevoir la paume de la main de ma mère, ou si ce n’était pas plutôt la paume droite de sa main qui était irrésistiblement attirée par ma joue. La réponse se trouvant dans la gifle, je la recherchais au quotidien. Je suis aujourd’hui à peu près convaincu que nous avions trouvé là le sentier interdit de notre « je t’aime » journalier. La lecture de Jojo le récidiviste m'a donc réjoui au point même de penser que Joseph Danan l'avait écrit pour moi. » Joël Jouanneau
Le texte de Danan est la pièce de théâtre la plus surprenante que je connaisse à ce jour: ni dialogues, ni didascalies, juste un enchaînement de séquences où invariablement Jojo se joue avec jubilation des interdits. Presque tout aussi invariablement et sans joute, vient le moment où le morveux tendra sa joue à la gifle-claque-beigne-torgnole maternelle.
Sur scène, au lever du rideau, cela donne un chaos organisé, un tohu-bohu soigneusement rangé, un capharnaüm rigoureusement empilé de part et d'autre de la scène. Soyez les bienvenus dans la chambre de Jojo, joyeuse anarchie, à l'image de la pièce. Au fond de ce décor, une porte, dressée comme limite entre l'imaginaire enfantin et la désillusion frustrée de l'adulte.
Le bric à brac se réveille à l'apparition des maîtres de jeu, Jojo et son copain, il sort de son mutisme. Et en une heure, cette pièce quasi muette rend hommage au trio Chaplin, Keaton, Tati. On y parle comme dans Les vacances de Monsieur Hulot, on se dandine et on y trébuche à la Charlot et on se désarticule et on chute de gag en gag à la Keaton.
Pas étonnant que les gazous au final entonnent le dernier chant polyglotte des Temps modernes.
Au final, on en vient à se demander ce que deviendrait ce Jojo entre les mailles du filet gouvernemental: délinquant bon à recycler? Et si on y voyait plutôt de la graine de Jouanneau?
18:25 Publié dans THEÂTRE | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : jouanneau, jojo | Facebook |
dimanche, 09 décembre 2007
RÉEL INSOLITE
Dimanche aux mandibules pluvieuses démantibulées par le vent
Par grammes ou par tonnes, j'aime la grammaire: le langage y devient insolite -qui n'a pas l'habitude- jusqu'à l'excès. Ce qui m'est amer, ce sont ces étudiants qui ont tenté de jouer des batteries d'exercices dissonants dits grammaticaux , sans jamais réussir à aligner trois notes consécutives. Grinçants et grimaçants, je les récupère.
Dehors le vent, par rafales, malmène : dedans je désarticule, déboîte, disloque les invariables manuels de grammaire. Inventer des passages non dramatiques vers cet art d'écrire et de lire qu'est la grammatiké...
Fantasmagorique, énigmatique et utopique chimère: telle il faudra que demain je l'imagine pour dérider ces visages désabusés. Pour m'en convaincre, je parcours La grammaire de l'imagination de Gianni Rodari. Je tombe sur une phrase liminaire. Que le langage peut-être figé dans ses expressions! Je n'ai pas trébuché sur la phrase, non, j'ai bien plus décollé en prenant comme tremplin ses mots:
" Les contes ont aujourd'hui plus à voir avec la dimension de l'utopie qu'avec celle de la nostalgie du passé. Ils sont les alliés de l'utopie, passage obligé de l'acceptation passive du monde à la capacité de le critiquer, à l'engagement pour le transformer."
Rodari concevait l'imagination non pas comme une échappée hors du réel mais comme un instrument de fracture des préjugés immuables, des cases bien casées et ce par le biais de l'insolite.
Porter un regard insolite sur le langage, sur les objets, sur le monde.
19:15 Publié dans CONTES ET MYTHES, ESPACES D'ECRITS | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : rodari, grammaire | Facebook |